Son rire s’envole bruyam­ment, mais Laëti­cia* a tout de même la trem­blote quand les mots sor­tent, avec une petite voix qui s’excuse d’exister. Elle se gronde : « T’es un peu idiote, tu t’es vrai­ment dit que tu allais y arriv­er avec un garçon alors que même un tam­pon ne passe pas ? » Laëti­cia a vingt-qua­tre ans. Des cheveux blonds tombent en cas­cade sur ses épaules. Cette jeune pro­fesseure de danse a trou­vé l’amour il y a cinq ans. Cinq ans, et tou­jours pas de pénétration.

Dix fois elle a essayé, vingt fois, cinquante fois, cent même… Cela ne passe pas. Laëti­cia souf­fre de vagin­isme : une con­trac­tion involon­taire du vagin l’empêche d’avoir le moin­dre rap­port. Elle est une vierge for­cée. Elle s’étonne : « Vous trou­vez ça si incroy­able que mon copain reste mal­gré ce problème ? »

C’est en inté­grant la com­mu­nauté française des vaginiques que Laëti­cia a décou­vert les raisons de son trou­ble. Une com­mu­nauté rassem­blée par l’association Les clés de Vénus qui pro­pose forum, con­seils, aide aux démarch­es et qui offre aux femmes con­cernées un appui pré­cieux. « On par­le tout le temps des éjac­u­la­teurs pré­co­ces, des impuis­sants, mais nous, nous n’existons pas », regrette-t-elle.

Le seul trau­ma­tisme que j’ai eu ? Me faire larguer parce que je ne pou­vais pas couch­er Angélique, anci­enne vaginique

Pour essay­er de com­pren­dre l’origine du vagin­isme, l’entourage imag­ine sou­vent un trau­ma­tisme, un événe­ment déclencheur qui dégoûterait de la sex­u­al­ité. « Mais je n’ai pas été vio­lée, je n’ai subi aucun trau­ma­tisme, s’insurge Angélique*, vingt-cinq ans, qui a été vaginique pen­dant trois ans. Le seul trau­ma­tisme que j’ai eu à subir est de m’être faite larguer parce que je ne pou­vais pas coucher. »

Depuis deux ans, elle est guérie. Son remède ? Avoir accep­té le prob­lème et l’avoir pris à bras-le-corps. « Je suis allée voir une kinésithérapeute spé­cial­isée qui m’a appris à me déten­dre et à maîtris­er mon vagin », racon­te-t-elle.

Par­al­lèle­ment, il fal­lait qu’elle s’exerce. « Un de mes amis qui me plai­sait est devenu mon parte­naire sex­uel : comme il n’y avait aucun sen­ti­ment, je ne met­tais pas de pres­sion et je pou­vais essay­er, rées­say­er, sans con­séquence. » Au bout d’un an et demi, ça paye. « Je ne saurais pas expli­quer pourquoi cette fois-là ça a marché… Je pense que j’étais prête, point barre. »

Reprends-toi ! Si tu couch­es pas, tu fini­ras ta vie toute seule !  Une amie d’Angélique

« Ce trou­ble appa­raît dans une société où des tabous exis­tent », affirme Mar­jorie Cam­bier, sexo-thérapeute à Paris et spé­cial­iste des trou­bles sex­uels. Le corps médi­cal s’avère sou­vent impuis­sant vis-à-vis du vagin­isme. Une incom­préhen­sion face à ces douleurs intens­es, brûlures destruc­tri­ces ressen­ties par les femmes au moment du coït. « Ce qui manque à ces jeunes femmes, c’est la trans­mis­sion de la sex­u­al­ité. C’est nor­male­ment aux par­ents de démys­ti­fi­er l’acte, détaille la thérapeute. Être bien infor­mées per­met d’éviter le stress quand elles sont con­fron­tées au sexe masculin. »

Il reste évidem­ment une pres­sion sociale, sorte de com­péti­tion pour qui fait le plus et qui fait le mieux. L’Institut nation­al de préven­tion et d’éducation pour la san­té (INPES) a établi, en 2010, que l’âge moyen du pre­mier rap­port sex­uel, en France, est de 17 ans et demi en moyenne, dans la moyenne des pays européens. « Je n’en pou­vais plus d’entendre mes copines me par­ler de leurs exploits sex­uels, moi j’étais tou­jours la petite fille qui n’avait rien fait », con­fie Angélique. Il y a deux ans, elle pen­sait met­tre fin à ses jours. Trop de ten­sion. Trop d’humiliation.

Finale­ment, elle décide de se repren­dre en main, fait tout pour rebondir et se libér­er de l’étau qu’était devenu son entre­jambe. Pour autant, elle gardera tou­jours en tête cette phrase pronon­cée à l’époque par une de ses amies : « Reprends-toi ! Si tu couch­es pas, tu fini­ras ta vie toute seule ! » 

« Si c’est juste pour faire comme tout le monde, ça n’a pas d’intérêt », se ras­sure Laëti­cia. Dans sa sex­u­al­ité qui n’a rien de clas­sique, elle s’épanouit. « On trou­ve d’autres solu­tions », résume-t-elle. Elle com­mence tout juste à accepter sa sit­u­a­tion. S’y ajoutent de petites vic­toires : par­venir à en par­ler ou pass­er un nou­veau cran sur son dilata­teur, un out­il qui per­met de déten­dre le vagin en douceur. Laëti­cia veut croire en sa rémis­sion, même si pour le moment, la crise de larmes guette à chaque fois qu’elle se con­fie sur son blocage.

Très sou­vent, la soli­tude et la com­para­i­son aux autres sont autant de freins à la guéri­son. Elle s’inquiète : « Si un jour je veux être maman, il va bien fal­loir que je guérisse. » Se sor­tir de cette véri­ta­ble mal­adie d’amour est la prochaine étape de la jeune danseuse. Pour qu’enfin le pas de deux ne fasse plus qu’un.

 

* Les prénoms ont été modifiés.