Les pom­pes funèbres Ela­men, basées à Paris et à Lille (Nord), sont spé­cial­isées dans les obsèques respectueuses des rites musul­mans. Depuis vingt ans, elles pren­nent en charge deux cents inhu­ma­tions chaque année. Bien peu, com­paré aux mille cinq cents rap­a­triements de dépouilles effec­tués par an, essen­tielle­ment à des­ti­na­tion du Maghreb. Un dernier aller sim­ple qui coûte cher aux familles endeuil­lées : entre 2 500 et 3 500 euros.

Inter­rogé par un média fran­coph­o­ne, lepetitjournal.com, Azze­dine Gaci, recteur d’une mosquée lyon­naise, con­statait début 2015 que beau­coup de familles orig­i­naires d’Algérie se retrou­vaient dans des sit­u­a­tions déli­cates au moment d’un deuil. « Ne pou­vant plus financer l’opération de rap­a­triement, les par­ents tapent à toutes les portes pour recueil­lir la somme néces­saire, jusqu’à faire des quêtes dans les mosquées ».

A l’époque, le gou­verne­ment algérien promet un fonds de sol­i­dar­ité nationale pour ses 12 000 à 15 000 ressor­tis­sants décédés chaque année. Mais loin d’attendre cette ini­tia­tive éta­tique, la Kabylie pro­pose depuis longtemps un mod­èle orig­i­nal de finance­ment du rap­a­triement. Français et Algériens orig­i­naires de cette région mon­tag­neuse de l’est du pays s’organisent en asso­ci­a­tions de vil­lage afin d’as­sumer le coût.

Dans les pays voisins, les solu­tions de rap­a­triement demeurent insti­tu­tion­nal­isées. M. Kadour, employé à la Grande Mosquée de Paris, explique ain­si que « les Tunisiens sont pris en charge à 100 % par leur Etat et [que] la plu­part des Maro­cains cotisent auprès d’une assur­ance décès qui s’occupe du rap­a­triement. » L’en­traide kabyle con­stitue donc une véri­ta­ble excep­tion cul­turelle, mais aus­si une tra­di­tion qui per­met de ren­forcer les liens de la com­mu­nauté en France.

70 % des mem­bres la com­mu­nauté algéri­enne en France souhait­ent que leur corps soit rap­a­trié dans le pays d’o­rig­ine (recteur de la Grande Mosquée de Paris) 

A chaque vil­lage kabyle, son association

Selon Lounes, trente ans, mem­bre de l’Association de Cul­ture Berbère, « chaque vil­lage kabyle pos­sède sa pro­pre asso­ci­a­tion ou son comité de vil­lage, qui s’occupe du trans­fert de la dépouille vers notre région natale ».

La Kabylie est à l’origine de la plus anci­enne émi­gra­tion du pays, démar­rée dès 1871, racon­te Kamel Tar­wi­ht, jour­nal­iste à Berbère Télévi­sion, un média qui pos­sède une antenne à Mon­treuil (Seine-Saint-Denis). « Pour les Kabyles, la sol­i­dar­ité a tou­jours été organ­isée par vil­lage. Et le but pre­mier, c’était d’être enter­ré au bled en cas de décès en France. C’est une tra­di­tion cul­turelle, pas une ques­tion religieuse. »

M. Atout, 44 ans, est ingénieur en région parisi­enne et prési­dent d’une asso­ci­a­tion de vil­lage. « L’association existe depuis 1960, depuis les pre­miers émi­grés de deux vil­lages de la com­mune de Beni Chebana. Depuis deux ans, on se restruc­ture, on est passés au statut loi 1901. » Avant, un respon­s­able s’occupait seul de récolter l’argent, « de gross­es sommes ». Le statut d’association per­met notam­ment d’accéder à un compte ban­caire et à plus de traçabilité.

Financer le rap­a­triement à tout prix

Le village de Bounouh Awrir. Par Mahmad Lakrimi

Le vil­lage de Bounouh Awrir. Par Mah­mad Lakrimi

Les modes d’organisation du rap­a­triement vari­ent. D’un vil­lage à l’autre, les coti­sa­tions ne sont pas les mêmes, « Dans mon vil­lage, explique Lounes, nous don­nons une coti­sa­tion de 20 euros à chaque fois qu’il y a un mort ici en France. Vu le grand nom­bre de per­son­nes orig­i­naires de notre vil­lage, générale­ment cela suf­fit pour le rapatriement. »

 

 

Para­doxale­ment, l’inhumation loin­taine ne coûte pas plus cher que celle de prox­im­ité. « Le bil­let d’avion coûte cher, mais c’est défini­tif, témoigne M. Kadour. Alors qu’une con­ces­sion dans un cimetière, c’est beau­coup d’argent, et puis c’est pour 30 ans, 50 ans, 100 ans max­i­mum. » En 2015, le prix moyen d’une inhu­ma­tion en France est de 3350€ selon l’association de con­som­ma­teurs UFC Que choisir. Repos­er dans la terre des ancêtres, et à per­pé­tu­ité, vaut bien un ultime voyage.

2500 à 3500 euros, la fourchette de prix pour un rap­a­triement au Maghreb 

Une tra­di­tion vitale pour con­serv­er ses racines

Mokrane Sadi est né en 1948. A Epinay-sur-Seine (93), où il habite, se trou­ve le siège de l’association du vil­lage Ath-Ham­doune. Son asso­ci­a­tion prélève trente euros par salarié ou retraité, dix euros pour les plus jeunes, mais rien pour ceux qui n’en ont pas les moyens. « Nous avons passé un con­trat avec des entre­pris­es de pom­pes funèbres. Nous payons un for­fait, et eux s’occupent de tout, de l’organisation de la prière au rap­a­triement en pas­sant par la toi­lette rit­uelle du corps. » La famille ne doit s’occuper de rien d’autre que de son deuil.

« Les jeunes ou les familles mixtes, c’est-à-dire avec un mariage en dehors de la com­mu­nauté kabyle, explique M. Atout, le prési­dent de l’as­so­ci­a­tion, peu­vent être davan­tage ten­tés par une inhu­ma­tion en France, pour que la famille se rende plus facile­ment sur la tombe. » Mais il nuance le fos­sé entre les généra­tions. Il con­sid­ère que près de 90 % de ses con­nais­sances désirent être enter­rées en Kabylie, jeunes et moins jeunes, nés en Kabylie ou en France. « Trans­porter le corps en Kabylie, c’est retourn­er vers les aïeux. » 

Cette pra­tique sol­idaire pour­rait reculer face aux com­pag­nies d’assurance. Spé­cial­iste de l’as­sur­ance obsèques avec rap­a­triement de corps depuis 1993, Ciel Assur­ances se flat­te d’avoir obtenu la con­fi­ance de plus de 160 000 adhérents sur les dix dernières années. Ses for­mules s’élèvent pour­tant à plus de 200 euros de coti­sa­tion par an et par personne.

Mais pour l’heure, les asso­ci­a­tions de vil­lages kabyles per­pétuent leur tra­di­tion et le lien social qui unit les mem­bres de la com­mu­nauté kabyle. « Et je crois qu’aujourd’hui, con­clut M. Atout, il est impor­tant d’avoir des racines. »

Anu­bis, l’entreprise experte en rapatriement
Anu­bis est une entre­prise d’assistance funéraire spé­cial­isée depuis vingt ans dans le rap­a­triement des corps. Déployée à l’international, instal­lée directe­ment dans les aéro­ports, comme à Rois­sy Charles-de-Gaulle, elle traite jusqu’à 1 500 dossiers français par an, prin­ci­pale­ment à des­ti­na­tion du Maghreb et de l’Afrique fran­coph­o­ne. Son rôle est d’aider les com­pag­nies de pom­pes funèbres ou d’assurances à rem­plir l’ensemble des démarch­es admin­is­tra­tives néces­saires. De l’acte de décès auprès de la mairie aux autori­sa­tions de rap­a­triement de la dépouille de la pré­fec­ture et des autorités con­sulaires des pays con­cernés. Trans­porter un cer­cueil sup­pose de se pli­er une dernière fois aux con­traintes san­i­taires et sécu­ri­taires des aéro­ports. Le cer­cueil doit être adap­té avec une couche en métal, her­mé­tique­ment fer­mé, et enfin scel­lé. Les douanes le passent ensuite aux rayons X ; la police des fron­tières ou encore les com­pag­nies aéri­ennes peu­vent aus­si effectuer des con­trôles. Le directeur des opéra­tions d’Anubis l’ad­met : il est par­fois com­pliqué de faire com­pren­dre aux familles qu’il est impos­si­ble de met­tre des fleurs, des bijoux ou même des bagages dans le cercueil.