La veillée funéraire est paradoxalement une forme de sociabilité qui peut faciliter l’expérience du deuil. Ce rite ancré dans une sagesse ancienne est pourtant une pratique qui se perd en France. Aujourd’hui, le rapport à la mort et les cheminements individuels dans le deuil sont fragmentés selon les cultures religieuses, les régions, et les modes de vie. Pourquoi, en 2016, s’enfermer dans la même pièce qu’un défunt ?
Depuis les années 1980–1990, les funérariums, un service public destiné à l’accueil des corps défunts, prennent leur essor et proposent de nouvelles formes de veillées. La chambre funéraire des Batignolles (17e arrondissement de Paris), qui reçoit plus de 2000 corps par an, est avec celle de Ménilmontant (11e arrondissement de Paris) une des trois plus grandes structures de ce type en France. Dix salons funéraires, de petites pièces au sobre mobilier marron clair peuvent être louées, 90 euros les deux heures, ou 180 euros la journée. Aux Batignolles, les visites cessent à 18 heures, mais d’autres structures permettent d’y passer la nuit. Le sociologue Tanguy Châtel considère qu’il s’agit là de formes de veillées alternatives.
« La dimension temporelle est fondamentale, insiste Christian de Cacqueray. La veillée funéraire permet une confrontation avec le défunt qui est une étape importante du cheminement d’un deuil. Il n’est plus là mais je peux le voir. J’ai vu des cas, où après avoir passé du temps avec le corps du défunt, le détachement finit par devenir un besoin. »
Frédéric Nicolas, vice-président du syndicat des thanatopracteurs (professionnels chargé des soins du corps des défunts), considère que cette pratique survit essentiellement en milieu rural, et dans certaines régions, comme le Sud-Ouest et la Bretagne. En ville, cette forme de rapport à la mort est bien plus rare.
Pour comprendre les formes de la veillée funéraire, Tanguy Châtel distingue la tradition de la religion. « Mis à part dans le judaïsme, il n’y a pas de prescription théologique ou liturgique de la veillée, explique-t-il. Il s’agit plutôt d’un acte social, d’une obligation morale. On veille le mort pour lui rendre hommage, autant que pour resserrer les liens entre les vivants, famille et proches du défunt. »
Laurent Allouche possède une entreprise de pompes funèbres israélites depuis vingt-sept ans. Il témoigne de cette exception religieuse : « Il est très fréquent que les gens ramènent le corps à la maison, c’est dans la religion. On amène le défunt à la maison, on le dépose à terre, drapé d’un linceul, une bougie près de la tête, une aux pieds. Un rabbin ou la communauté du défunt récitent des prières. Seuls les athées revendiqués ne font pas cette veillée. »
Dans les autres religions, la veillée est loin d’être une pratique courante, et ses codes varient. L’islam n’en prévoit pas dans ses textes, mais certains musulmans la pratiquent. Une minorité selon un employé de la Grande mosquée de Paris, chargé de la toilette funéraire, qui précise qu’il s’agit d’une innovation qui sort de l’orthodoxie religieuse. Les protestants, eux, l’emploient davantage que les catholiques.
Tanguy Châtel confirme : « La mort induit toujours une rupture, une cassure. Les rites religieux ou les pratiques permettent de montrer que les vivants, la famille notamment, sont abîmés par le décès, mais pas détruits. Le corollaire de la veillée, c’est le banquet, la renaissance. Mais si on escamote la veillée, et qu’on ne garde que le banquet, le cheminement est partiel. » Aucune étude n’existe sur cette évolution du deuil et ses conséquences sur le rapport à la mort. Tanguy Châtel conclut : « Les cultures se défont rapidement, mais elles mettent du temps à se structurer. »
Crédit photo : © International News Photos