Monter au ciel. On con­nait l’ex­pres­sion, incar­née dans la Bible par le ravisse­ment. Pour­tant, rien de religieux ici. Ni de fan­tas­tique. Lucas More­aux et Vivien Tani, deux Mont­pel­liérains de 27 ans, ont déjà envoyé vingt-trois corps dans l’espace. Plus pré­cisé­ment des cen­dres cinéraires humaines. Leur con­cept est sim­ple : con­tre près de 1000 €, il est désor­mais pos­si­ble d’offrir un dernier voy­age à vos proches, entre trente et trente-cinq kilo­mètres au-dessus de vos têtes. « C’est un con­cept unique, écologique et biodégrad­able qui a néces­sité des mois d’études et beau­coup de rigueur et de pré­ci­sion », se vante Vivien, qui a déposé en 2014 la mar­que « Pous­sière d’étoile ». A l’époque, c’é­tait une presta­tion pro­posée dans le cadre de leur entre­prise de pom­pes funèbres, “Atome funéraire”. Depuis, cette dernière a fer­mé, et nos deux entre­pre­neurs se sont entière­ment con­cen­trés sur l’aven­ture “Pous­sière d’étoile”.

Pour met­tre au point une dis­per­sion de cen­dres dans l’e­space, il faut procéder à de nom­breux tests : com­pos­ites des bal­lons, gaz util­isé, vitesse de mon­tée, alti­tude… Le bal­lon est en latex – « cela évite toute pol­lu­tion quand il retombe » – et le gaz util­isé est de l’hélium, « un gaz naturel », pré­cise Lucas.

Envol d’un bal­lon vers le ciel.               Crédit pho­to : © Pous­sière d’étoile

Une fois la cré­ma­tion ter­minée, les deux entre­pre­neurs récupèrent l’urne cinéraire et rejoignent la famille. Ils pla­cent alors les cen­dres dans un com­par­ti­ment spé­ciale­ment amé­nagé pour les recevoir. Pen­dant ce temps, le bal­lon blanc se gon­fle d’hélium. Au départ, il peut mesur­er plus de deux mètres de diamètre. Les cen­dres sont ensuite placées au cen­tre du bal­lon, la famille peut procéder à une cérémonie.

« Cela change tout pour eux, assure Vivien. Lors d’une inhu­ma­tion, ils regar­dent vers le bas le cer­cueil descen­dre dans le caveau. Là, tous les yeux sont rivés vers le ciel. » Les deux Mont­pel­liérains se félici­tent aus­si de voir de nom­breux enfants qui assis­tent à ce dernier « au revoir ». « C’est moins triste et moins trau­ma­ti­sant, promet Lucas. Quand leurs par­ents leurs expliquent que papy et mamie sont au ciel, ils peu­vent mieux se l’imaginer ».

Quand leurs par­ents leurs expliquent que papy et mamie sont au ciel, ils peu­vent mieux se l’imaginer Lucas More­aux, con­cep­teur de ‘Pous­sière d’étoile’

Lorsque le bal­lon atteint une hau­teur com­prise entre 30 et 35 kilo­mètres, il éclate. A cette alti­tude, il ne mesure plus que quelques cen­timètres de diamètre à cause de la pres­sion atmo­sphérique. Les cen­dres sont dis­per­sées dans ce que les spé­cial­istes appel­lent le « proche espace ». Le bal­lon redescen­dra sur Terre et peut, si les cal­culs de Vivien et Lucas sont exacts, être récupéré. Sinon, il se détru­ira seul en quelques semaines seulement.

La France est l’un des pays d’Europe où la lég­is­la­tion sur le devenir des cen­dres cinéraires est la plus floue. Depuis 2008, il est inter­dit de garder indéfin­i­ment, chez soi, une urne. Mais, on peut en dis­pers­er les cen­dres dans un jardin des sou­venirs, en mer, en mon­tagne… A con­di­tion de respecter tout de même quelques règles. « Il ne faut pas dis­pers­er les cen­dres sur des routes, chemins, lacs… ». 

Avec « Pous­sière d’étoile », le procédé est validé tech­nique­ment et admin­is­tra­tive­ment par la lég­is­la­tion funéraire. Tous les lâch­ers de bal­lons sont suiv­is et validés par la Direc­tion générale de l’aviation civile.

Aux Etats-Unis, tes cen­dres en orbite autour de la Lune pour… 12 000 $

Cepen­dant, il est impos­si­ble à Vivien et Lucas de prévoir où exacte­ment les cen­dres vont éclater. A cause, notam­ment, des vents ter­restres, de la rota­tion de la Terre. C’est ce qui pose un vrai prob­lème à Michel Kawnik, prési­dent de l’Association française d’information funéraire : « Les cen­dres vont revenir sur Terre et la loi stip­ule qu’elles ne doivent pas être dis­per­sées sur la voie publique ou dans des jardins. Là, il est cer­tain que les cen­dres retombent partout. »

Un point très sen­si­ble pour les gérants de la société. « Nous avons toutes les autori­sa­tions néces­saires pour exaucer les dernières volon­tés des défunts. Les familles sont d’accord et les pré­fec­tures sont prév­enues », assurent-ils.

Cette activ­ité de dis­per­sion dans l’espace de cen­dres cinéraires humaines est nou­velle en France. Aux Etats-Unis, des sociétés pro­posent pour 1500 dol­lars d’envoyer quelques grammes de cen­dres en orbite autour de la Terre. Et ils vont même plus loin. Pour 12 000 dol­lars env­i­ron, un à deux grammes de cen­dres peu­vent être envoyées en orbite autour… de la Lune !

Pour Marie-Jeanne Gen­dron, psy­ch­an­a­lyste, « on se débar­rasse peut-être de nos morts. Dans l’Histoire, on a tou­jours trou­vé un lieu pour hon­or­er nos morts. Peut-être que l’Homme con­naît tout sur Terre et veut aller se balad­er dans l’espace avec ses cen­dres ».

Un nou­veau monde que Vivien et Lucas, au tra­vers de « Pous­sière d’étoile », sont bien décidés à con­quérir. Pour l’instant, l’activité n’est pas viable pour deux salaires entiers. « Lucas tra­vaille dans le funéraire mais je suis seul à porter le con­cept et à répon­dre aux devis », con­fie Vivien.

Cepen­dant, les deux asso­ciés ont un objec­tif en 2016 : pou­voir pro­pos­er leurs ser­vices partout en France, via des fran­chis­es. « Nous tra­vail­lons déjà sur le con­cept et le busi­ness plan », pré­cisent-ils. Ils en sont con­va­in­cus : les clients sont là, à en croire les dizaines d’appels et de devis qu’ils reçoivent. Con­cur­rencer Dieu dans le ravisse­ment de ses ouailles, il fal­lait oser.

Crédit pho­to : © Pous­sière d’étoile