«On verra un jour les incurables, les vieillards, aller se faire congeler. On les mettra dans des tiroirs avec des étiquettes : à réveiller quand on aura un remède contre… le cancer, contre le vieillissement, et pourquoi pas contre la mort. » Cette phrase, c’est le célèbre biologiste Jean Rostand qui l’a prononcée. C’était en 1959. Plus d’un demi siècle plus tard, on ne parle plus de congélation mais de vitrification. Quelques jeunes Français se sont emparés de ces questions et oui, ils veulent vaincre la mort.
Cette génération bercée aux films de science-fiction, à qui la société a promis tous les rêves, s’est prise au jeu. Son espoir : la cryonie ou cryogénisation. Un procédé qui permet de conserver tout ou partie du corps à très basse température dans l’espoir que les avancées scientifiques futures permettent de les ressusciter. Pas question de tester le procédé sur les vivants. Il s’agirait de meurtres ! Dans l’Hexagone, la cryogénisation est interdite même chez les morts. Alors les «Cryonics» de France ont commencé à se fédérer sous l’impulsion d’un vieux briscard du mouvement. Loin d’être abattus par les difficultés logistiques, légales ou le mépris de la communauté scientifique, ils ont des projets. Avec la persévérance et l’optimisme comme armes, ils espèrent faire évoluer le droit et pourquoi pas, atteindre l’immortalité.
« Lorsque j’étais jeune, le premier livre que j’ai lu était “L’homme à l’oreille cassée”. J’ai eu un déclic. Cette idée de pouvoir ressusciter ne m’a jamais quitté. Si j’avais eu le choix, j’aurais préféré ne pas naître. A quoi sert de naître si c’est pour mourir ? » L’auteur de cette pensée nihiliste, c’est Rolland Missonnier. Ce retraité des affaires de 66 ans connaît bien le mouvement cryoniciste en France. Il faisait partie de la première association qui a vu le jour dans les années soixante. A son apogée, elle comptait une soixantaine de membres, dont des scientifiques. Après la rocambolesque affaire des époux Martinot, la mouvance a perdu de sa superbe. En 2014, une rencontre avec Damien Casoni, un jeune cryoniciste français, a redonné un second souffle à Rolland Missonnier. Il a décidé de faire revivre l’association. Les nouveaux statuts ont été enregistrés le 14 avril 2015 et la Société Cryonics de France a pu renaître.
Aujourd’hui elle compte une dizaine de membres, tous des jeunes à en croire son parrain : « Il y a une forte curiosité de la part des 18–35 ans. Ils se retrouvent dans un monde qui leur montre toutes les possibilités qu’offrira le futur comme la conquête de l’espace. Ils veulent participer à tout cela. Mais la vie est trop éphémère, pourquoi ne pas vivre plus longtemps ? » Le sexagénaire voit la cryonie comme une aventure. Damien Casoni, trentenaire, est sur la même longueur d’onde : « J’ai grandi en regardant et en lisant de la science-fiction, j’ai toujours été ouvert à l’avenir et aux possibilités qu’il nous offre. Je suis un grand curieux et un grand épicurien, je veux tout savoir, avoir le temps de créer, de partager, d’aimer, de découvrir de nouvelles choses, chaque jour, et je ne veux pas que ça s’arrête. »
Cet amour inconditionnel de la vie les pousse à tenter leur chance. Les cryonicistes français sont conscients du caractère très hypothétique de leur succès. « Nous ne sommes pas des illuminés, explique Rolland Missonier. On ne dit pas que l’on va revivre. Bien sûr que l’on peut devenir une momie congelée. Mais c’est une chance que l’on se donne. » Ce pragmatisme matérialiste est à la base de la réflexion du mouvement. « Qu’avons nous à perdre puisque nous serons morts » pourrait être leur mantra. Damien Casoni préfère la métaphore de la ceinture de sécurité. Elle « ne garantit pas la survie » mais pour l’instant « c’est ce qu’il y a de mieux ». Pour lui, la cryonie suit «exactement la même logique».
le nombre estimé de personnes ayant signé un contrat de cryogénisation à travers le monde
Le chemin vers la résurrection est semé d’embûches. Surtout s’il est emprunté en France. Le pays interdit toute pratique de la cryogénisation. « Seules deux manières sont autorisées pour se débarrasser d’un corps : l’inhumation et la crémation », rappelle maître Xavier Labbée. Cet avocat a travaillé longuement sur des questions relatives à la bioéthique. Pour lui, le droit français ne reconnaît pas le concept d’immortalité. Une situation qui a le don d’énerver Rolland Missonnier : « Comment une personne peut ne pas être propriétaire de son corps après sa mort ? C’est fou ! »
Même si le droit venait à évoluer, Xavier Labbée voit au moins un autre écueil. Un tel procédé, s’il est un jour efficient, pourrait coûter extrêmement cher. De quoi faire tanguer l’une des valeurs fondatrices de la République française : l’égalité. « Qu’est-ce que cela veut dire ? Que seuls les riches pourront accéder à la vie éternelle ? On est tous égaux devant le cercueil ou le feu mais pas devant la cryogénisation », souligne le conseil.
Le frein principal aux rêves de la communauté Cryonics reste la science. Si des recherches sont menées à travers le globe, elles avancent lentement. Des scientifiques américains ont récemment mis au point une substance permettant de relativement bien préserver les corps. Mais on est encore loin d’une vitrification parfaite. C’est l’avis de Pierre Boutron, cryobiologiste au CNRS : « Le but c’est d’éviter la formation de cristaux de glace à l’intérieur du corps qui endommageraient les cellules. Pour cela, il faut utiliser des solutions chimiques à très haute dose, explique le chercheur. Aujourd’hui, une substance mise au point aux Etats-Unis permet de plutôt bien préserver le corps sans trop de toxicité. Mais il faut que la solution se diffuse absolument partout ce qui est loin d’être simple. »
le nombre — estimation basse — de personnes qui sont actuellement cryogénisées dans les trois différents centres de stockage à travers la planète
Reste le manque d’offre. Trois grands centres de stockage existent actuellement dans le monde. Deux sont aux Etats-Unis et l’autre en Russie. Pour un cryoniciste français, il n’existe que deux solutions. Il peut déménager à proximité de l’un de ces centres et attendre son heure. Sinon se rendre en urgence en Angleterre ou en Allemagne. Ces deux pays possèdent des organisations se chargeant des premiers soins et du transport vers les centres de stockage. La cryogénisation doit s’effectuer au maximum quelques minutes après le décès. « Si le corps est trop endommagé, cela me semble impensable qu’il puisse être réanimé un jour, explique Pierre Boutron. Si la procédure est effectuée assez rapidement, on peut considérer que le corps n’aura pas subi de gros dégâts. Alors là, qui sait ? »
Dans tous les cas, peu de chance qu’une grande avancée vienne de France. La communauté scientifique s’en désintéresse et très peu de laboratoires et de chercheurs y consacrent du temps… quand ils n’affichent pas leur mépris. « Ce problème vient d’un côté de ceux qui ont un souci philosophique avec la notion d’immortalité et de l’autre de ceux qui considèrent que c’est de la science-fiction », analyse le cryobiologiste. Rolland Missonnier est conscient de ces difficultés logistiques : « D’où la nécessité de faire évoluer le droit. »
La renaissance du mouvement cryoniciste français est en route. « Nous souhaitons nouer des partenariats avec les autres associations de notre genre à travers le monde. Réunir nos ressources, nos savoir-faire et informer l’opinion publics sont nos objectifs », avance Damien Casoni. Et le plan est déjà établi. Actuellement, la Société cryonics de France compte quatre partenaires majeurs : un anglais, un allemand, un finlandais ainsi qu’un groupe suisse. C’est avec leur aide et celles à venir que Rolland Missonnier compte faire changer les choses : « On pourra construire un cryotorium en France lorsque en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, il y aura des cryotoriums où la cryogénisation y sera légalement pratiquée. On pourra alors s’adresser aux instances européennes de Bruxelles et à la Convention européenne des droits de l’Homme à Strasbourg, afin de faire constater cette grave discrimination, anticipe-t-il. Et comme pour les autres libertés, c’est l’Europe qui fera sauter cette prohibition en France et nous donnera la liberté. »
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— Bertrand (@amiralcartoon) February 26, 2016
L’optimisme est de mise côté financement. Le coût de la cryonie varie de 30 000 à 200 000 $ (27 000 à 182 000 €). Pour régler la facture, la méthode la plus employée reste l’assurance décès. Un moyen qui rend la cryogénisation accessible pour des jeunes en bonne santé. Reste les avancées scientifiques : le moteur de l’espoir des cryonicistes. Fort de son immense expérience en matière de cryobiologie, Pierre Boutron considère la théorie de manière sérieuse : « Je pense que cryopréserver un corps sans dégâts est possible. » Il émet toutefois un bémol : « Cela fonctionnera d’abord sur les vivants. Quelqu’un atteint d’un cancer incurable pourrait décider de se faire vitrifier en attendant qu’un remède soit trouvé. Cela ouvre également des perspectives pour les voyages dans l’espace comme l’on peut voir dans “2001 : l’odyssée de l’espace”. » Rolland Missonnier est persuadé que d’ici un dizaine d’années « on sera capable de cryopréserver sans dégâts une souris à très basse température » puis viendra « un lapin » et pourquoi pas « un homme ».
Les plus optimistes restent les jeunes. A l’image de Damien Casoni : « Ceux qui nous disent que la mort est naturelle et ne devrait pas être défiée sont les mêmes qui vont voir un dentiste lorsqu’ils ont une carie, ou iront choisir le meilleur traitement si ils sont atteint d’un cancer et pourtant ces maladies sont naturelles non ? » Il est persuadé que les mentalités évolueront « à mesure que les progrès scientifiques démontreront la validité de cryonie ».
Il y a quelques décennies, une partie de la communauté scientifique considérait la transplantation cardiaque comme de la science-fiction. Qui sait jusqu’où le progrès accompagnera l’homme dans son évolution ? Pourra-t-il un jour hiberner dans une solution vitrifiante pour des siècles et se réveiller dans un monde qu’il n’a jamais connu ? Ces questions n’ont pas fini d’obséder une petite communauté française qui grandit. Mais pas autant que ses rêves… d’immortalité.
Crédit photo : © capture d’écran du film Demolition Man de Marc Brambillo de 1993 avec Sylvester Stallone.