Comme eux, l’écrasante majorité des jeunes présents au Centre Pompidou cet après-midi sont issus des différents quartiers de Paris. L’emblématique lieu culturel de la capitale redouble pourtant d’efforts pour élargir le spectre de son public. Ce jour-là comme tous les autres, ses portes sont ouvertes gratuitement aux moins de 26 ans. Les responsables du centre ont même organisé un événement, tout le long des vacances scolaires, en partenariat avec le Bondy Blog, un média associatif de Seine-Saint-Denis.
« Cela n’a pas forcément suffi à changer le public du Studio 13/16, concède un employé du Centre Pompidou. Nous aurions aimé voir plus de jeunes de banlieues pendant ces deux semaines. Nous sommes en pleines vacances scolaires et les activités proposées (open mic, atelier radio, rencontres avec des artistes et des journalistes…) avaient tout pour les intéresser. »
Non, les jeunes de banlieue ne désertent pas (tout) Paris
Ancien professeur de lycée en Seine-Saint-Denis, le sociologue Fabien Truong explique : « On est ici dans le “blanc Paris” : le Paris des musées, plus chic, plus guindé… Celui que les jeunes de banlieue ne fréquentent pas. Quand j’y emmenais des lycéens, je voyais bien qu’ils n’avaient pas les codes, qu’ils ne s’y sentaient pas du tout à leur place… C’est toute la violence sociale qui apparaît ici. »
Pas question, pour autant, d’en déduire que la jeunesse banlieusarde renonce, partout et tout le temps, à franchir le périphérique. « De manière superficielle, on a souvent l’impression que les jeunes de banlieue ne se rendent pas à Paris, éclaire Fabien Truong. C’est faux. Ils vont à Paris, mais ont une relation à la capitale qui est située socialement. »
Cette relation s’illustre au sein même du Centre Pompidou. Dolly, un étudiant en sciences politiques de 19 ans, vient du Kremlin-Bicêtre pour réviser à la bibliothèque publique qu’abrite le Centre. « Mais je ne sais même pas ce qu’il y a ailleurs dans le bâtiment, avoue-t-il. Je ne suis jamais allé voir les expositions, les activités culturelles, etc. » A quelques dizaines de mètres du centre Pompidou, les propos de Fabien Truong trouvent également leur illustration. Là, autour des stations de RER, des grappes de jeunes se croisent, issus ici du 13e arrondissement, là de Courbevoie, plus loin de Pantin… « On vient, on voit du monde, on profite un peu de Paris », s’amuse Alex, un lycéen de 17 ans originaire du Val‑d’Oise.
La distance physique s’atténue, pas la distance mentale
A La Courneuve, on croise Lounes, un lycéen de 16 ans. L’adolescent, cheveux blonds et survêtement de club de foot, réfléchit un peu avant de répondre à la question. « Paris, j’y suis allé qu’une seule fois pendant les vacances, explique-t-il. C’était pour aller au cinéma avec ma meuf, à Opéra. Le pire, c’est que depuis, je ne suis même plus avec elle (rires). » Le reste de son temps, il l’a passé au quartier, « à jouer au foot ou à discuter », ou chez lui, « à réviser ou jouer à la Play ». Et le jeune homme d’embrayer : « De Paris, je ne connais que les Champs-Elysées, Opéra et la Tour Eiffel. En général, quand j’y vais, c’est dans un de ces endroits-là… »
Un rapport à la capitale que décrypte Fabien Truong : « De 15 à 17 ans, pendant leurs années lycée, les jeunes banlieusards découvrent souvent le Paris quotidien : les Halles, les Champs-Elysées… Ce Paris est un point d’accroche. Ce sont des lieux assez familiers des jeunes : on y vend les mêmes choses qu’en banlieue, on peut y manger au McDonald’s… Mais, en même temps, ce n’est pas la banlieue. C’est Paris, avec ses bâtiments haussmaniens et ses touristes qui parlent anglais. Dans la tête des jeunes, ça change tout. Il y a même un côté un peu romantique…»
Limité dans l’espace, le Paris des jeunes banlieusards se heurte aussi au frein de la distance. Si l’amélioration des réseaux de transport tend à en atténuer l’effet, la distance-temps entre la capitale et de nombreux territoires franciliens contribue à en tenir éloignée la jeunesse.
Trajet Paris-banlieue | Durée |
Paris-Chelles | 0h40 |
Paris-Les Mureaux | 1h03 |
Paris-Villiers le Bel | 1h04 |
Paris-Clichy | 1h11 |
Paris-Palaiseau | 0h48 |
Source : site RATP
Mais si cette distance est physique, elle se joue surtout dans la tête. Ancien animateur et directeur du service jeunesse d’Aubervilliers, Martial Byl livre une analyse en forme de conclusion : « Aujourd’hui, notre ville est à deux pas de Paris, les jeunes ne peuvent plus sortir cette excuse. Le problème est ailleurs. Il faut que cela devienne naturel pour eux d’aller à Paris, il faut qu’on leur dote des codes culturels et sociaux, qu’ils n’aient pas peur de se sentir à l’ouest, d’être regardés de travers, voire de se faire contrôler par la police. »
Crédit photo : © Ronald Tagra/Flickr.