Les allées du Cen­tre Pom­pi­dou sont pleines, ce dimanche 6 mars. Au pre­mier sous-sol, une petite dizaine d’adolescents est postée à l’entrée du « Stu­dio 13/16 », l’espace pour ado­les­cents du cen­tre. Casque à l’oreille à gauche, Periscope col­lec­tif à droite, moment d’isolement roman­tique au loin… Il faut toutes les peines du monde pour capter l’attention du petit groupe. A peine le temps d’apprendre qu’ils sont, pour l’essentiel, issus de ce qu’ils appel­lent « Paris 10 », le dix­ième arrondisse­ment de la capitale.

Comme eux, l’écrasante majorité des jeunes présents au Cen­tre Pom­pi­dou cet après-midi sont issus des dif­férents quartiers de Paris. L’emblématique lieu cul­turel de la cap­i­tale redou­ble pour­tant d’efforts pour élargir le spec­tre de son pub­lic. Ce jour-là comme tous les autres, ses portes sont ouvertes gra­tu­ite­ment aux moins de 26 ans. Les respon­s­ables du cen­tre ont même organ­isé un événe­ment, tout le long des vacances sco­laires, en parte­nar­i­at avec le Bondy Blog, un média asso­ci­atif de Seine-Saint-Denis.

« Cela n’a pas for­cé­ment suf­fi à chang­er le pub­lic du Stu­dio 13/16, con­cède un employé du Cen­tre Pom­pi­dou. Nous auri­ons aimé voir plus de jeunes de ban­lieues pen­dant ces deux semaines. Nous sommes en pleines vacances sco­laires et les activ­ités pro­posées (open mic, ate­lier radio, ren­con­tres avec des artistes et des jour­nal­istes…) avaient tout pour les intéresser. »

Non, les jeunes de ban­lieue ne déser­tent pas (tout) Paris

Ancien pro­fesseur de lycée en Seine-Saint-Denis, le soci­o­logue Fabi­en Truong explique : « On est ici dans le “blanc Paris” : le Paris des musées, plus chic, plus guindé… Celui que les jeunes de ban­lieue ne fréquentent pas. Quand j’y emme­nais des lycéens, je voy­ais bien qu’ils n’avaient pas les codes, qu’ils ne s’y sen­taient pas du tout à leur place… C’est toute la vio­lence sociale qui appa­raît ici. »

Pas ques­tion, pour autant, d’en déduire que la jeunesse ban­lieusarde renonce, partout et tout le temps, à franchir le périphérique. « De manière super­fi­cielle, on a sou­vent l’impression que les jeunes de ban­lieue ne se ren­dent pas à Paris, éclaire Fabi­en Truong. C’est faux. Ils vont à Paris, mais ont une rela­tion à la cap­i­tale qui est située socialement. »

Cette rela­tion s’illustre au sein même du Cen­tre Pom­pi­dou. Dol­ly, un étu­di­ant en sci­ences poli­tiques de 19 ans, vient du Krem­lin-Bicêtre pour révis­er à la bib­lio­thèque publique qu’abrite le Cen­tre. « Mais je ne sais même pas ce qu’il y a ailleurs dans le bâti­ment, avoue-t-il. Je ne suis jamais allé voir les expo­si­tions, les activ­ités cul­turelles, etc. » A quelques dizaines de mètres du cen­tre Pom­pi­dou, les pro­pos de Fabi­en Truong trou­vent égale­ment leur illus­tra­tion. Là, autour des sta­tions de RER, des grappes de jeunes se croisent, issus ici du 13e arrondisse­ment, là de Courbevoie, plus loin de Pan­tin… « On vient, on voit du monde, on prof­ite un peu de Paris », s’amuse Alex, un lycéen de 17 ans orig­i­naire du Val‑d’Oise.

La dis­tance physique s’atténue, pas la dis­tance mentale 

A La Courneuve, on croise Lounes, un lycéen de 16 ans. L’adolescent, cheveux blonds et survête­ment de club de foot, réflé­chit un peu avant de répon­dre à la ques­tion. « Paris, j’y suis allé qu’une seule fois pen­dant les vacances, explique-t-il. C’était pour aller au ciné­ma avec ma meuf, à Opéra. Le pire, c’est que depuis, je ne suis même plus avec elle (rires). » Le reste de son temps, il l’a passé au quarti­er, « à jouer au foot ou à dis­cuter », ou chez lui, « à révis­er ou jouer à la Play ». Et le jeune homme d’embrayer : « De Paris, je ne con­nais que les Champs-Elysées, Opéra et la Tour Eif­fel. En général, quand j’y vais, c’est dans un de ces endroits-là… » 

Un rap­port à la cap­i­tale que décrypte Fabi­en Truong : « De 15 à 17 ans, pen­dant leurs années lycée, les jeunes ban­lieusards décou­vrent sou­vent le Paris quo­ti­di­en : les Halles, les Champs-Elysées… Ce Paris est un point d’accroche. Ce sont des lieux assez fam­i­liers des jeunes : on y vend les mêmes choses qu’en ban­lieue, on peut y manger au McDonald’s… Mais, en même temps, ce n’est pas la ban­lieue. C’est Paris, avec ses bâti­ments hauss­man­iens et ses touristes qui par­lent anglais. Dans la tête des jeunes, ça change tout. Il y a même un côté un peu roman­tique…»

Lim­ité dans l’espace, le Paris des jeunes ban­lieusards se heurte aus­si au frein de la dis­tance. Si l’amélioration des réseaux de trans­port tend à en atténuer l’effet, la dis­tance-temps entre la cap­i­tale et de nom­breux ter­ri­toires fran­ciliens con­tribue à en tenir éloignée la jeunesse.

Tra­jet Paris-banlieue Durée
Paris-Chelles 0h40
Paris-Les Mureaux 1h03
Paris-Vil­liers le Bel 1h04
Paris-Clichy 1h11
Paris-Palaiseau 0h48

Source : site RATP

Mais si cette dis­tance est physique, elle se joue surtout dans la tête. Ancien ani­ma­teur et directeur du ser­vice jeunesse d’Aubervilliers, Mar­tial Byl livre une analyse en forme de con­clu­sion : « Aujourd’hui, notre ville est à deux pas de Paris, les jeunes ne peu­vent plus sor­tir cette excuse. Le prob­lème est ailleurs. Il faut que cela devi­enne naturel pour eux d’aller à Paris, il faut qu’on leur dote des codes cul­turels et soci­aux, qu’ils n’aient pas peur de se sen­tir à l’ouest, d’être regardés de tra­vers, voire de se faire con­trôler par la police. »

Crédit pho­to : © Ronald Tagra/Flickr.