«Q uand je vois son nom tapé dans la barre de recherche, c’est un soulage­ment. » Car­la*, vingt-cinq ans, a rompu depuis presque un an avec son ex, sur lequel elle cherche fréquem­ment des infor­ma­tions. « Lorsque je l’épie, pour moi, il existe. Même si ce n’est que sur Google… » Tout y passe : Twit­ter, Google Maps, Insta­gram, What­sapp… « Heureuse­ment nous ne sommes pas amis sur Face­book, souf­fle-t-elle. Autrement, je passerais mon temps à regarder s’il a de nou­velles amies et ça me rendrait vrai­ment folle. »

Plus d’un mil­liard et demi d’u­til­isa­teurs sont aujourd’hui inscrits sur Face­book ; un mil­liard sur Youtube ; 100 mil­lions sur le réseau pro­fes­sion­nel Linkedin. Des nids d’indices sur la vie per­son­nelle de ses util­isa­teurs. Chaque année, une per­son­ne dou­ble la quan­tité d’informations intimes qu’elle laisse en ligne, selon les chiffres pub­liés par Face­book en 2011. Trou­ver des détails sur son ex n’est donc pas sor­ci­er. « Il suf­fit juste d’un peu de jugeote, rit Car­la, et d’une barre de recherche. »

« Je me sens mal après »

Stalk­er (épi­er, en anglais), pass­er des heures à sur­veiller un proche sur les réseaux soci­aux, cer­tains l’as­su­ment. « Je suis un vrai détec­tive privé, s’amuse Tomas, vingt-qua­tre ans. Il suf­fit à cet ancien étu­di­ant de Sci­ences Po Paris de deux ou trois clics pour décou­vrir qui son ex fréquente en ce moment ou à quelle soirée il s’est ren­du la veille. « Je ne cul­pa­bilise pas du tout, explique-t-il. Si je peux accéder à ces don­nées, c’est que la per­son­ne les a, un jour ou l’autre, ren­dues publiques. »

Quand il s’agit de suiv­re les moin­dres faits et gestes de son ex-petit ami, le sujet se fait plus sen­si­ble. « Je me sens mal après, finit-il par avouer. Surtout, quand je dévoile à quelqu’un une infor­ma­tion sur lui que per­son­ne ne m’a encore racon­tée, mais que j’ai obtenue en fouil­lant son Face­book. » Stalk­er, « tout un art » et des années de pratique.

Pour Antoine, un com­mer­cial de trente-trois ans, guet­ter son ex est devenu une habi­tude. « J’ai tout sim­ple­ment emprun­té le télé­phone d’une amie. J’ai ouvert son compte Face­book. Je suis allé sur le pro­fil de mon ex que je n’avais plus “en ami” depuis notre sépa­ra­tion. J’ai pris toutes les infor­ma­tions qu’il y avait à pren­dre. » Il tente de se décul­pa­bilis­er : « Elle aus­si, elle le fait ! » Avant de con­venir que cet espi­onnage par écrans inter­posés devient, pour lui, une addic­tion à laque­lle il s’adonne même lorsqu’ils sont à plus de 10 000 kilo­mètres l’un de l’autre.

« S’en­fer­mer dans une relation »

Cette manie, « c’est de la tor­ture ! » avouent en chœur les stalkeurs ren­con­trés. Pour le psy­cho­logue clin­i­cien François Pou­blan, ces com­porte­ments exces­sifs relèvent du « délire inter­pré­tatif », dans lequel la per­son­ne inter­prète mal le moin­dre signe. Selon lui, plus on vis­ite au quo­ti­di­en un pro­fil, et plus cette pra­tique devient dan­gereuse. Quelques heures par semaine n’ont rien d’inquiétant, mais si, au con­traire, on piste son ancien con­joint plusieurs fois par jour, cela peut alors relever d’un « com­porte­ment pathologique ». « Sur­veiller son ex, c’est aus­si tout sim­ple­ment s’enfermer dans une rela­tion qui mal­heureuse­ment est ter­minée », ajoute le psychologue.

Stalk­er n’est au final que la ver­sion 2.0 du pistage ou de la fila­ture old school que priv­ilé­giaient les anci­ennes généra­tions. « Avant Inter­net, je me cachais der­rière des buis­sons pen­dant des heures pour compter les allers et retours de mon anci­enne petite amie », racon­te Antoine. Avec l’omniprésence des réseaux soci­aux, c’est plus facile, « on peut se cacher der­rière nos ordi­na­teurs, sans que per­son­ne ne puisse nous voir », dit-il, dans un sourire malicieux.

« Une fois, j’ai vu que mon ex était iden­ti­fiée sur une pho­to avec son ancien petit ami, se sou­vient-il, agacé. Le lende­main, elle poste sur Insta­gram une pho­to d’une table avec deux petits déje­uners servis… J’étais fou ! C’était sûr : elle ressor­tait avec lui. » En réal­ité, elle avait sim­ple­ment passé la nuit avec une copine.

 

* Le prénom a été changé.

Pho­to de cou­ver­ture : Stokpic.com / Pexels