«C’est avant tout une très belle histoire. » La voix pleine de nostalgie, Benoît Engelbach se rappelle les débuts de l’aventure. En 2012, ce chef d’équipe chez Orange âgé de 44 ans est en pleine période militante. Il tombe sur Prêt à jeter, documentaire à succès sur l’obsolescence programmée. Il est décidé. Il veut faire quelque chose.
Au printemps suivant, le premier Repair Café parisien est organisé, sur un concept importé des Pays-Bas. Aujourd’hui, Benoît est président de l’association. Deux après-midi par mois, les réparateurs et couturiers bénévoles proposent de rafistoler vos objets du quotidien. Petit électroménager, hi-fi, informatique, téléphonie, vêtements, on ratisse large. Autour d’un café, petit gâteau à la main, les propriétaires peuvent attendre ou échanger avec les réparateurs et apprendre quelques techniques. Le plus souvent dans des salles prêtées par des structures sensibles au concept.
Aujourd’hui, l’association Repair Café Paris compte une cinquantaine de bénévoles et environ 150 adhérents. Au-delà d’une simple réparation, les organisateurs souhaitent avant tout faire passer leur message : rien ne sert de racheter, tentez d’abord de redonner vie à vos objets. Avec le soucis d’aider ceux qui n’ont pas les moyens de remplacer.
Démarche écologique
Les réparateurs bénévoles viennent de tous les horizons. Il suffit de parler avec eux pour trouver un dénominateur commun. « Ce sont mes valeurs et mes convictions qui m’ont poussé à participer. L’écologie, la lutte contre le gaspillage, le partage, aider les autres. » Michael Derivieres ne rate pas un Repair Café. Dans la vie, il est réparateur dans l’électroménager. Deux après-midi par mois, il met ses compétences au service des autres et… de la planète.
« On veut faire notre part et apporter notre contribution. On essaie d’éviter les problèmes de recyclage », explique Sylvain Robillart, webmaster et réparateur polyvalent. Selon le site terraeco.net, seuls 23% des déchets électroniques sont recyclés. « On lutte aussi contre l’obsolescence programmée. On essaie de faire comprendre aux gens qu’il faut éviter de céder au rachat compulsif bien encouragé par un marketing agressif, poursuit Sylvain Robillard. La dimension éducation est très importante ».
Et les résultats sont là. Lors d’un après-midi Repair Café, qui dure environ 3h30, 60% des objets sont réparés. Pour le reste, il faut soit racheter une pièce, soit se résigner à s’en débarrasser.
Plus d’une tonne d’objets réparés
En 2014, l’association tenait des statistiques. Selon son président, les bénévoles ont réparé plus d’une tonne d’objets. « On a calculé que l’on avait contribué à hauteur de 800 kilos de déchets non recyclés évités », souligne Benoît Engelbach. S’il se dit conscient que cela représente « une goutte d’eau » à l’échelle de la région parisienne, il mise avant tout sur l’évolution des consciences: « On aura gagné le jour où les gens auront le réflexe de réparer plutôt que de jeter. On se bat pour cela, on apprend aux gens à rafistoler, on leur donne des tuyaux, on leur conseille des tutoriaux sur Youtube. C’est la vague du “Do it yourself”. »
Sylvain Robillard donne un exemple parlant : « Les objets peuvent tenir des années après une réparation. La majorité des micro-ondes défectueux le sont car un fusible a brûlé. Les gens ne le savent pas, jettent et rachètent, se désole-t-il. Une fois le fusible changé, il peut tenir des années ». Pas sûr que tout le monde soit au courant.
« L’entraide est une de nos valeurs fondatrice. » Michael Derivieres pose le cadre. Aimez-vous les uns les autres, et surtout, aidez-vous les uns les autres. Entre réparateurs d’abord. Pas question de gardez ses secrets, si un camarade est en dans la difficulté, il trouvera vite du renfort.
Alessandro est un réparateur informatique d’expérience. Avec son accent qui sent bon l’Italie, il explique que « le talent, on l’a ou on ne l’a pas ». « Ça ne me dérange pas de partager mes techniques avec les autres réparateurs », souligne le technicien de 50 ans qui, en recherche d’emploi, a rejoint la troupe pour garder la main, mais surtout pour aider les autres. Si l’écologie revêt une importance fondamentale dans le concept, la dimension sociétale n’est jamais loin. « Je me considère comme un croisé pour les pauvres. Je fais cela pour aider les gens qui n’ont pas les moyens, explique Alessandro. Imaginez un enfant à l’école qui ne peut pas se servir de son ordinateur parce que son père n’a pas 100 euros pour le réparer. C’est cruel ».
Service gratuit n’est pas synonyme de mauvais boulot
Benoît Engelbach avoue ne pas avoir de statistiques précises, mais il estime qu’environ « la moitié des gens qui ont recours à nos services le font pour raisons économiques ». Une dimension bien intégrée par l’association. « On vise en priorité les quartiers populaires. On veut créer du lien social et encourager la mixité en faisant venir des populations plus favorisées dans des quartiers qui le sont moins », détaille le président.
Et rassurez-vous, service gratuit n’est pas synonyme de mauvais boulot. « Cette idée reçue est totalement fausse. Je fais le même travail que dans les grandes enseignes dans lesquelles j’étais employé », souligne Alessandro. Il en profite d’ailleurs pour glisser un tacle aux entreprises du secteur informatique. Il les connaît bien pour avoir roulé sa bosse chez Darty, la Fnac et autre Surcouf. « J’ai été très choqué des pratiques qui ont cours. On facturait de grosses sommes qui n’avaient aucun lien avec la réalité du travail effectué. Demander 40 euros pour changer un disque dur, c’est n’importe quoi », s’indigne-t-il. Avec le Repair Café, il existe dorénavant une autre option.
Et demain ?
En 2013, les 3 500 euros remportés grâce à un appel à projet solidaire de la Fondation Orange ont permis de lancer l’aventure. Aujourd’hui, l’association fonctionne sans problème. « On a peu de frais. Quand je fais les courses pour faire un pot, j’en ai pour 35, 40 euros. Les adhérents paient une cotisation de 5 euros par an et chaque après-midi d’activité, on récolte entre 100 et 150 euros de dons », décrit Benoît Engelbach.
Pour faire tourner deux Repair Café par mois, c’est suffisant. Mais le président voit plus grand. Il est conscient que le schéma actuel a ses limites. L’association est à la recherche d’un modèle économique. « On voudrait embaucher une personne à temps plein, louer un local pour faire de l’initiation à la réparation et peut-être augmenter un peu la cotisation afin de multiplier les initiatives », explique Benoît Engelbach.
Faire de la sensibilisation auprès des écoles ou des démonstrations dans des salons font partie des pistes. « On a déjà des contacts avec le salon Maker Faire de Paris qui se déroulera du 30 avril au 1er mai », se réjouit-il. En attendant de les voir à l’oeuvre dans La Mecque du “Do it yourself”, vous pouvez retrouver l’équipe le samedi 26 mars au Pôle Innovant lycéen dans le 13ème arrondissement de la capitale. Et rassurez-vous, les Repair Café resteront totalement gratuits. De quoi faciliter votre entrée dans un monde écolo-solidaire.