
“L’Espresso book machine” en action.
La librairie des Presses universitaires de France (PUF), inaugurée le 10 mars, est la première en France à détenir une « Espresso book machine », qui imprime les livres à la demande. La maison d’édition, culte pour le monde académique et les étudiants, a dû fermer sa boutique place de la Sorbonne en 1999, pour laisser place à un magasin de vêtements. Dix-sept ans après, elle rouvre son enseigne de l’autre côté du boulevard, avec une stratégie commerciale ambitieuse et inattendue de sa part : mettre le numérique au service du papier.
Une librairie sans livres
En voyant la vitrine, on ne soupçonnerait pas qu’on s’apprête à entrer dans une librairie sans livres. A l’intérieur pourtant, pas de rayons mais des tables basses, des banquettes, des écrans tactiles et des machines à café. 5 000 titres des éditions PUF, et trois millions d’ouvrages libres de droits (dont 350 000 en français) sont disponibles pour impression. Le catalogue, entièrement numérisé, permet de transférer et matérialiser un fichier PDF, le temps d’un café.

Une cliente imprime un livre “en souvenir”.
« Je peux regarder faire la machine, ce n’est pas indiscret ? » demande timidement Christophe, 33 ans, venu imprimer « par curiosité » La Vie au bistrot, disponible dans toutes les librairies du quartier. Une retraitée de passage à Paris emmène un « Que sais-je ? » sur Nietzsche « en souvenir », après avoir filmé tout le processus sur son téléphone portable.
Le directeur général des PUF, Frédéric Mériot, ne compte pas seulement sur la fascination de l’ouverture pour attirer la clientèle et établir un modèle économique viable. Cette nouvelle librairie est pour la maison d’édition l’aboutissement d’une vraie stratégie commerciale.
« Le flux normal d’une librairie inclut de l’impression en quantité, du stockage, un transport aller vers le libraire, et à nouveau du stockage, explique le directeur. Si le livre n’est pas vendu, il y a alors un transport retour, du stockage en entrepôt, et parfois la destruction des invendus. C’est une aberration économique et une aberration écologique. »
La librairie à la demande permet de supprimer les coûts de transport et de stockage, en même temps qu’elle évite les titres invendus ou épuisés. « Ici, chaque livre fabriqué est un livre vendu », résume-t-il, précisant qu’en France, environ un tiers des livres produits sont invendus, donc pilonnés pour être recyclés.
en euros, le coût d’une « Espresso book machine »
Le livre imprimé à la demande coûtera le même prix que celui que le lecteur pourrait acheter en librairie, en vertu de la loi Lang qui instaure un prix unique du livre en France depuis 1981. Le directeur général des PUF, Frédéric Mériot, affirme que, de toute façon, « le livre à la demande coûte plus cher à imprimer qu’en usine », parce que la machine imprime plus lentement, et seulement à l’unité. Et surtout, « l’Espresso book machine » coûte cher : pour ne pas investir 150 000 euros dans l’achat de l’engin, les PUF se la font prêter par le laboratoire de recherche et développement Ireneo.
L’intérêt économique de l’opération ne réside pas dans la marge sur les livres vendus, mais dans l’augmentation de l’offre. « Imprimer ici du Marc Lévy ou du Guillaume Musso serait absurde, explique-t-il. Nous voulons surtout vendre un très grand choix de titres qui tournent à très petit tirage. » Il rappelle fièrement que lorsque tous les titres prévus seront intégrés au catalogue, « cette librairie sera la plus grande d’Europe en nombre de titres, dans seulement 72 mètres carrés ».

Présentoir de la librairie.
Les PUF font le pari du papier, alors que l’ebook vise à éviter les mêmes écueils que l’impression à la demande, et permet un choix de titres comparable. « L’ebook est une bonne idée, mais il a le problème de ne pas plaire au lecteur, affirme Frédéric Mériot. Le marché du livre numérique s’effrite, c’est pourquoi nous mettons le numérique au service du papier. » Il ne craint pas de perdre son lectorat le plus fidèle : « Nos lecteurs traditionnels sont rassurés de voir que nous sommes capables d’innover en gardant notre ADN, qui est le livre papier. »
Yves, normalien, « amoureux du quartier latin et client historique des PUF » pour y avoir traîné avec les philosophes Althusser et Foucault, vient simplement « voir si la machine fonctionne ». Il ne compte rien acheter, parce qu’il possède déjà 5 000 ouvrages et parce qu’il préfère les vieux livres. Il salue l’étonnant retour des PUF : « Avec ce système, ils préservent le livre et la tradition des libraires, ce qui n’est pas simple ! » s’exclame-t-il.

Le café de la librairie des PUF.
Car l’autre pari est celui de recréer l’univers de la librairie même si tout y est numérique. Lors de l’inauguration, le maire du 6e arrondissement Jean-Pierre Lecoq l’annonçait déjà : « Ceci n’est pas une filiale d’Amazon ». « Nous sommes mieux qu’Amazon, renchérit Frédéric Mériot. Nous offrirons bientôt la même largeur de catalogue, immédiatement, dans un espace d’échange, pour que le lecteur ne soit pas seul devant son ordinateur pour passer commande. »
L’une des deux employés de l’enseigne est catégorique : « Ici aussi, je reste libraire ». Yves craint pourtant, en tant que lecteur, que « le métier de libraire en vienne à changer face aux clients pressés, qui viendront toujours chercher un titre précis ». Le directeur des PUF conçoit, lui, sa librairie sans livre comme une offre complémentaire : « Cela ne remplacera jamais une librairie traditionnelle dans laquelle on se promène au milieu des rayons, découvrant par hasard des choses que l’on n’imaginait pas. »
Permettre aux professionnels d’être plus audacieux
Pour préserver le monde de l’édition, la librairie des PUF s’oppose à mettre à disposition sa machine « magique » pour d’autres usages. Si aux Etats-Unis, avec ce procédé, il est possible pour un étudiant de faire de sa thèse un ouvrage broché, ou pour un amateur de s’auto-éditer et de mettre soi-même son livre en vente, cette petite révolution n’aura pas lieu rue Monsieur-le-Prince : « Nous sommes une maison d’édition, pas un service de reprographie, précise le directeur de la maison. Les livres imprimés ici portent une signature et résultent d’une validation éditoriale. »
A terme, la librairie à la demande permettra aux professionnels d’être plus audacieux au moment d’éditer des ouvrages peu rentables. Le directeur des PUF imagine que d’ici un ou deux ans, la librairie pourrait produire des livres vendus seulement à la demande, en prenant davantage de risques.
Crédits photo : © Laure Andrillon