Quel que soit votre âge, vous le croisez qua­si­ment chaque jour. L’émoticône, ce petit vis­age jaune accom­pa­g­nant un mes­sage ou le bou­ton « J’aime » sur Face­book depuis le 24 févri­er. Qu’il soit souri­ant pour fêter un mariage ou la mine décon­fite après une rup­ture sen­ti­men­tale, il se greffe au tra­di­tion­nel lan­gage SMS.

« En 2009, les moins de 25 ans avaient une sorte de mono­pole » Pierre Halté, doc­teur en sci­ences du langage

D’abord réservé aux pre­miers logi­ciels de “chat” en ligne à la fin des années 80, sous formes de com­bi­naisons typographiques, puis stan­dard­isé avec la fameuse bouille chauve depuis 2000, l’é­mo­ji prof­ite du développe­ment expo­nen­tiel des smart­phones au point d’être con­nu de tous.

EmojikeyboardiphoneCela n’a pas tou­jours été le cas. Pen­dant longtemps, les généra­tions Y et Z furent les seules à maîtris­er les codes de cette façon de s’exprimer.  « Quand j’ai com­mencé à tra­vailler ma thèse sur le sujet en 2009, c’était dif­fi­cile de trou­ver des adultes util­isant les émoticônes. Les moins de 25 ans avaient une sorte de mono­pole. Aujourd’hui c’est dif­férent », explique Pierre Halté, doc­teur en sci­ences du lan­gage à l’U­ni­ver­sité Paris-Est Créteil.

Désor­mais, la fron­tière généra­tionnelle n’existe plus. « Avant, les adultes avaient peur de mal com­pren­dre ce lan­gage ou d’être mal com­pris quand ils s’en ser­vaient », ajoute Pierre Halté. Le développe­ment des ban­ques d’émoticônes en ligne et des appli­ca­tions dédiées à la fin des années 2000 va tout chang­er. Aujour­d’hui, la pra­tique est ancrée dans la vie quo­ti­di­enne entre Insta­gram, Snapchat et les innom­brables SMS des for­faits illim­ités. Bizarrement, ce n’est pas sur Face­book, poids lourd des réseaux soci­aux, que le réflexe s’est le plus répan­du au départ. La com­mu­nauté d’In­sta­gram impli­quant bien plus ces expres­sions pour accom­pa­g­n­er les pub­li­ca­tions et les commentaires.

« Un vis­age cherche à recréer la con­ver­sa­tion en face-à-face » Pierre Halté, doc­teur en sci­ences du langage
En sur­fant dans ces repères à expres­sions faciales, le pub­lic plus âgé lève peu à peu la bar­rière de la langue émo­ji. Il asso­cie chaque con­texte à son émoticône. « La diver­si­fi­ca­tion du bou­ton “Like” sur Face­book, avec son incroy­able réser­voir d’utilisateurs, est l’étape ultime de la démoc­ra­ti­sa­tion de l’émoticône et encore plus de sa com­préhen­sion », pour­suit Pierre Halté.

 

Le chercheur dif­féren­cie par ailleurs  le sim­ple émoticône de chien mignon ou de jolie mai­son du vis­age por­teur d’une émo­tion. « Le chien ou la mai­son rem­pla­cent seule­ment une image alors qu’un vis­age cherche à recréer la con­ver­sa­tion en face-à-face. Il nuance les mots en repro­duisant les gestes et les mim­iques du lan­gage physique », détaille-t-il. Un besoin d’amener du vivant dans un échange instan­ta­né, a pri­ori dif­fi­cile à repro­duire à l’écrit sans les emojis.

Autres atouts pour les « vieux » : l’aspect ludique et le temps gag­né. « C’est un lan­gage « du pouce », on rem­place par­fois plusieurs mots ou une phrase par une seule émo­tion. Entre deux réu­nions ou deux ren­dez-vous pro­fes­sion­nels ce n’est pas nég­lige­able », pré­cise Pierre Halté.

Les mar­ques ou les stars ne s’y trompent pas et utilisent à présent ce dialecte pour pro­mou­voir leur con­tenus, leurs pro­duits ou même les événe­ments de leur vie. Ce fut par exem­ple le cas du joueur de ten­nis bri­tan­nique Andy Mur­ray pour résumer la journée de son mariage avec Kim Sears.

Grand-mère gâteau, ado­les­cent hyper­con­nec­té, solide quadra ou star des réseaux soci­aux, la langue emo­ji s’adapte aux émo­tions de tous. Sans jamais pren­dre une ride.

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