A la bibliothèque Marguerite-Audoux, dans le 3e arrondissement de Paris, on rencontre encore tous les ingrédients d’une médiathèque classique. Des cotes bien définies, des rayons thématiques, un silence de cathédrale et quelques rats de bibliothèque à gros appétit. Une dizaine d’ordinateurs avec connexion Internet décorent les salles mais le virage technologique s’arrête là. L’avantage ici reste le large choix des collections et le prêt de livres.
Jonathan, étudiant en Langues étrangères appliquées, s’y ravitaille régulièrement en bandes dessinées. Perfecto cintré et dernier album de Largo Winch sous le bras, il apprécie le service. Pour autant, le jeune homme de 23 ans émet quelques souhaits : « Si la bibliothèque proposait plus d’activités en communauté ce serait cool. Des animations pour les jeunes, qu’on puisse se rencontrer, échanger. Quand on vient ici juste pour emprunter des bouquins, on reste dans notre petite bulle. »
A l’Observatoire de la lecture publique, qui récolte les données d’activité des bibliothèques, on imagine déjà la médiathèque du futur. « L’une des tendances pour l’avenir des bibliothèques municipales, c’est d’en faire des lieux axés sur la convivialité en multipliant les activités, estime Marine Rigeade, responsable de l’Observatoire. On constate que plus une bibliothèque offre de services différents, plus elle est fréquentée. » Du jeu vidéo, du code, des salles prévues pour la création de projet, des ateliers de formation professionnelle, autant de boosters de fréquentation possibles.
Depuis le 13 octobre 2015, la ville de Paris propose une plateforme sur Internet permettant d’emprunter des livres numériques. Néanmoins, cette innovation, offerte par seulement 2% des bibliothèques municipales et intercommunales, reste éloignée des projets de modernisation.
« L’objectif, c’est d’aboutir à un “fab lab” (atelier de fabrication numérique) à l’américaine où se retrouverait des personnes de différents univers », considère un membre de la direction du département des bibliothèques au ministère de la Culture. « Malgré l’explosion de l’offre numérique à venir, il y aura toujours ce besoin, pour beaucoup de personnes, des livres et du lieu physique que représente la bibliothèque. Il faudra trouver un équilibre pour en faire un endroit hybride où tout le monde peut s’y retrouver », prévient-il.

Atelier lecture sur tablette à la bibliothèque Louise-Michel (20e).
Les bibliothèques et les médiathèques ne se limitent plus à leurs fonctions de lieu d’étude et de prêt de livres : pour répondre aux attentes multiples des citoyens, elles deviennent des espaces de création et d’animation culturelle. Elles offrent la possibilité de se retrouver, se rencontrer, se former, s’instruire et se divertir.
À la médiathèque Louise-Michel, située dans le 20e arrondissement de Paris, on peut toujours sentir l’odeur des pages jaunies par le temps ou celle des bandes dessinées flambant neuves. Mais la priorité est ailleurs pour cet établissement sorti de terre en 2011, considéré partout comme “la bibli’ du futur”. Julien Prost, bibliothécaire sauce numérique à l’allure hipster, souhaite « casser l’image poussiéreuse des bibliothèques en se servant des moyens numériques ».
Dans cet espace de 500 m², où l’on trouve une salle de jeu vidéo, un petit jardin collaboratif, des tablettes et des salles en pagaille, les collections ne représentent plus la force de séduction. « Aujourd’hui on tend non seulement au partage du savoir mais aussi du savoir-faire, observe Julien Prost. On propose de l’initiation au code, des ateliers sur tablettes, des tutos et même des cours de tricot. On devient un lieu qu’on fréquente par plaisir, sans barrière culturelle ».
En ce 24 février, l’association des Voyageurs du code, dont le but est d’initier les gens au code, organise son apéro mensuel, ouvert à tous, dans l’une des salles de la bibliothèque Louise-Michel. L’événement rencontre un tel succès que la pièce exiguë du premier étage est bondée. Au programme : des échanges, des rencontres, des amuse-bouches et surtout un atelier de robotique.
« Vous devez programmer le maximum de tâches sur nos petits robots », lance Isaline Audebert, membre des Voyageurs du code depuis septembre dernier, à l’assemblée. Entre “Ranger Rox” le Mindstorms fétichiste des canards en plastique jaune, “Wall-ou” piloté par un Minion et “Space” le robot combattant sans armure, les participants ont le choix.

Quand programmer devient une activité de bibliothèque municipale
Juliette, 25 ans, en service civique dans la gestion de projets internationaux, jette son dévolu sur “Space”. Sur les instructions de Morgane et Irfaan, étudiants à l’école de l’innovation technologique (ESIEE) de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), elle tente d’abord de programmer depuis un ordinateur les LED parsemées sur le robot bulldozer. Après quelques tâtonnements, elle parvient à mettre cet engin de malheur en marche. Elle qui n’a jamais touché au code vit « une expérience amusante et finalement plus simple [qu’elle] ne l’imaginait ». Son épreuve se termine en activant la détection d’ennemis de “Space” l’hyperactif. A coup de commandes sur le clavier, elle lui informe que des lignes blanches symbolisent les limites de l’arène. Dès lors, le robot sumo parcourt sans relâche la surface du ring à la recherche d’adversaires à pousser.
Ce schéma d’espace ouvert et diversifié permet de « rayonner sur la communauté du quartier, ajoute Julien Prost. Nous ne sommes plus des prescripteurs, on devient des facilitateurs de technologie et de lien social ». Un point de vue que partage Marine Rigeade : « Le multi-services, c’est la voie à suivre dans les prochaines années et il y a de grandes chances qu’il soit devenu la norme dans vingt ans. »
Forcément, la question de la terminologie se posera pour ces endroits de collaboration aux multiples facettes. Si Julien Prost reconnaît que le nom de bibliothèque municipale risque d’être remis en cause, il glisse dans un sourire que c’est encore « la meilleure solution car “atelier de partage et de création connecté”, même en 2036, ce ne sera pas très beau. Il faudra revoir le naming ».
Crédits photos : © Bibliothèque Louise-Michel et Bruno Cravo