Source : Sénat
Par manque de temps — quand ce n’est pas de la mauvaise volonté politique – il arrive que les cabinets ministériels rechignent à la tâche. Oublis, retards, lacunes sont le lot quotidien des textes réglementaires d’application des lois. « Le problème est que les parlementaires se sentent concernés par le vote de la loi, beaucoup moins par son application », témoigne Pierre Januel, attaché parlementaire du groupe écologiste à l’Assemblée nationale et auteur du blog « Les cuisines de l’Assemblée » de l’Express.
C’est le pourcentage de lois qui bénéficiaient de leurs décrets d’application six mois après leur promulgation au Journal officiel en 2011.
Preuve en est, en 2011, seules 35 % des lois bénéficiaient de leurs textes d’application six mois après leur promulgation au Journal officiel. Des mois, voire des années durant, des normes, pourtant solennellement adoptées, peuvent ne rester que partiellement appliquées.
Victime de ce mal bien connu du palais Bourbon : la loi de mars 2014 pour l’accès à un logement et à un urbanisme rénové (Alur). Deux ans après son adoption par la représentation nationale, le texte de l’ancienne ministre du Logement, Cécile Duflot, attend toujours plus d’une soixantaine de décrets d’application pour être totalement appliquée. Une défaillance qui relève cette fois plus du choix politique que d’une inertie gouvernementale. Quelques mois seulement après son installation à Matignon, Manuel Valls avait annoncé vouloir « apporter un certain nombre de modifications » à la loi de la ministre démissionnaire. Ce sera finalement un enterrement de première classe. On comprend mieux la liberté prise par certains bailleurs parisiens quant au respect de l’encadrement des loyers, décrite par Pampa Mag la semaine dernière.
Le CV anonyme enterré
La loi Alur n’est pourtant pas la plus à plaindre. D’autres mesures législatives, elles aussi adoptées à la majorité parlementaire, ont tout bonnement été enterrées. Une fin qu’a connu par exemple le dispositif phare de la loi de 2006 sur l’égalité des chances, censé rendre obligatoire pour toute embauche dans les entreprises de plus de cinquante salariés, la sélection des candidats sur “CV anonyme”. Gommer son nom en haut d’une candidature devait empêcher certaines discriminations. Dix ans plus tard, le décret n’a jamais été pris. Les députés ont même abrogé la mesure en 2015 : contrairement à ce qu’indiquait la loi, le dispositif sera facultatif.
Pour enrayer ce phénomène et redonner sa force au travail législatif, une commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a été créée en 2011. « L’objectif était d’identifier les points de blocages et de coller aux basques du gouvernement pour qu’il sorte en temps et en heure les décrets d’application nécessaires aux lois votées, relate l’ancien président de la commission, le sénateur PS de Paris David Assouline. En partie grâce à notre travail, les choses se sont nettement améliorées, ce qu’a d’ailleurs salué l’Assemblée nationale comme nombre d’observateurs. » Et pour cause, le taux de lois applicables six mois après leur promulgation est passé de 35% en 2011 à 65% en 2014.
Ce succès n’a pas dissuadé le sénateur LR Gérard Larcher, réélu président du palais du Luxembourg après 3 ans d’alternance, de rayer d’un trait de plume la fameuse commission. « C’est incompréhensible, s’insurge encore le sénateur David Assouline. L’application des lois nous concerne tous et notre action était saluée par tout le monde. C’est un geste bassement politique, la commission ayant été créée par la gauche, la droite s’est dit qu’il s’agissait d’un bon moyen de tourner la page. » Contacté par Pampa Mag, le cabinet de Gérard Larcher n’a pas souhaité donner suite.

Gérard Larcher en 2015. Crédits: Kremlin.
« Le contrôle de l’application des lois est évidemment un point très important sur lequel nous pouvons encore progresser, mais nul besoin d’une commission sénatoriale pour cela, tempère la sénatrice LR des Hauts-de-Seine, Isabelle Debré. Les chiffres viennent de baisser à nouveau mais cela n’a rien à voir avec la disparition de la commission. Il faut que le gouvernement fasse son boulot et secoue ses ministres. »
Depuis 2014, c’est désormais aux différentes commissions permanentes de contrôler d’elles-mêmes l’application des lois dont elles ont la charge. Elles n’en ont pourtant ni la détermination, ni les moyens. « Les commissions permanentes n’ont pas les mêmes marges de manœuvre que l’ancienne commission de contrôle. Elles ne disposent que de très peu de temps à y consacrer », confirme Pierre Januel. S’il est possible de vérifier soi-même la liste des décrets d’application d’ores et déjà sortis au sein des dossiers législatifs disponibles sur les sites internet de l’Assemblée, du Sénat ou sur Légifrance, le calendrier des textes restant à publier est purement indicatif et rarement mis à jour.
Faisant désormais l’objet d’une communication en conseil des ministres, ainsi que d’un rapport annuel présenté par le Président de la délégation du Bureau du Sénat, le bilan d’application des lois reste parcellaire. « Rien que pour nous, élus, il est déjà très compliqué de savoir où en sont les décrets d’application d’une loi. Il nous faut interroger, interpeller. Rares sont les réponses immédiates, souligne David Assouline. Comment voulez-vous que le citoyen y parvienne ? » Pour s’y être attelé, Pampa Mag lui souhaite, en effet, bien du courage.