« L es lois précédentes étaient suffisamment claires, insiste Pierre Januel. Cette nouvelle loi est inopportune, on est dans la répétition de ce qui a déjà été rendu possible auparavant. » Ce collaborateur du groupe Écologiste à l’Assemblée nationale, en charge de la commission des lois, est définitif. Pour lui, les mesures sur la lutte contre le terrorisme du nouveau projet de loi adopté par l’Assemblée le 8 mars dernier n’ont pas lieu d’être. Depuis 2012, c’est la quatrième fois qu’un tel texte est débattu. « Toutes ces lois ont été entièrement appliquées, souligne-t-il. Pour la loi de renseignement, les derniers décrets d’applications ont été pris fin décembre. »
Un avis que ne partage pas le rapporteur de la loi, le député socialiste Pascal Popelin. « Il n’y a absolument pas de répétition. Il existe des angles morts dans notre droit qu’il faut combler, c’est notre rôle, affirme-t-il. Qui peut oser affirmer que son travail est immuable ? Nous devons nous adapter. » Selon lui, cette loi aurait pour but de « combler les trous de la raquette » des lois précédentes. « Je ne peux pas dire que notre dispositif est parfait, qu’on ne reviendra pas dessus, continue-t-il. Mais c’est une réponse nécessaire. »
La plupart des lois de lutte contre le terrorisme suivent des attentats. De 1986 et l’attentat de la rue de Rennes à Paris, au 13 novembre 2015 et la prise d’otage du Bataclan, chacune de ces attaques a été suivie par l’adoption d’un arsenal juridique musclé. Certains y voient des mesures inutiles car répétitives. Alors, qui croire ?
- 21 décembre 2012 : la loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Neuf mois plus tôt, en mars 2012, Mohammed Merah assassine sept personnes dans les villes de Toulouse et Montauban. Le parquet antiterroriste de Paris ouvre trois enquêtes pour des faits qualifiés « d’assassinat et tentatives d’assassinat en lien avec une entreprise terroriste ». C’est dans ce contexte que la loi est promulguée. Le texte permet notamment aux forces de l’ordre de continuer à accéder aux données de communication électronique jusqu’au 31 décembre 2015, comme ils pouvaient le faire depuis 2005 déjà. Cette loi modifie aussi le Code pénal : les ressortissants français qui commettent des actes de terrorisme à l’étranger sont désormais passibles de poursuites, de même que ceux qui reviennent de camps d’entraînement terroriste. Les treize articles de cette loi sont appliqués ; seuls les articles 1 et 9 nécessitent des décrets d’application.
- 13 novembre 2014 : la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Elle prévoit notamment l’interdiction de sortie du territoire des suspects candidats au djihad, et crée le délit d’entreprise terroriste individuelle.
Un premier décret d’application des articles 1 et 2 est publié le 14 janvier 2015, à la suite des attentats de Charlie Hebdo et de la prise d’otage de l’Hypercasher. Comme dans la loi précédente, le reste des articles est d’application directe et ne nécessite pas de mesures réglementaires. La loi est intégralement appliquée.
- 24 juillet 2015 : la loi “sur le renseignement”. Entrée en vigueur début octobre, la loi définit un cadre dans lequel les services de renseignement sont autorisés à recourir à des techniques de surveillance. Les demandes écrites doivent être adressées au Premier ministre qui ne peut donner son accord qu’après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Le texte de l’actuel projet de loi cible plusieurs mesures déjà évoquées dans les textes de lois précédents : la retenue administrative, le recours aux “Imsi catcher” (fausses antennes permettant d’intercepter les conversations téléphoniques), les perquisitions de nuits. La différence ? Un « approfondissement du mouvement qui donne plus de pouvoirs au procureur et à la police administrative », selon Camille Polloni, journaliste spécialiste des questions de justice.
Par exemple, lors d’un contrôle d’identité, si la personne abordée ne peut présenter ses papiers, elle peut être retenue sur place ou au commissariat le temps d’une vérification d’identité. Celle-ci ne doit pas excéder 4 heures. « Ce qu’introduit la nouvelle loi, c’est la possibilité de garder la personne même si elle a donné son identité, à la condition qu’il y ait de sérieuses raisons de penser que son comportement est suspect », explique le député Pascal Popelin. Pour Pierre Januel, « la vérification était déjà possible avant, cette mesure est inutile ».
Utilisation des Imsi catcher par le renseignement
Il y a à peine trois ans, les Imsi catcher n’existaient pas. Ou du moins pas dans la loi. Celle votée en 2014 légalise leur utilisation par les services de renseignements, leur permettant d’identifier les numéros de téléphone de suspects et, en cas d’urgence, d’intercepter le contenu des conversations.
Avec le projet de loi actuel, le procureur y aura aussi accès dans le cadre d’une enquête préliminaire. Un changement pointé du doigt par de nombreuses associations défendant les libertés individuelles qui y voient une dérive. En France, le procureur est représentant du ministère public. Il se trouve donc sous la hiérarchie du pouvoir politique par le biais du garde des Sceaux.
Contrôle des retours de Syrie
En 2014, la loi ne s’occupait de la situation que de ceux qui partaient ou souhaitaient partir sur un théâtre d’opérations terroristes. « On n’avait pas réglé à ce stade là la question des retours, c’était un problème à qualifier judiciairement », assure le rapporteur de la loi. Le projet de loi actuel met ainsi en place un contrôle administratif au retour des personnes qui « se sont rendues ou ont manifesté l’intention de se rendre sur des théâtres d’opérations terroristes ». Par exemple, ce dispositif s’étendra sur une période maximale d’un mois pour les assignations à domicile.
Néanmoins, Pierre Januel, le collaborateur du groupe écologiste à l’Assemblée nationale assure que le droit proposait déjà tous les outils nécessaire. « On créé des délits mais pas des normes », dénonce-t-il. L’assignation à résidence existe déjà. Elle permet de retenir quelqu’un de force sur le territoire. Le changement ? Le ministre de l’Intérieur pourra, à son tour, s’en emparer pour l’appliquer lui-même.
« Boucher les trous » était le mot d’ordre de Pascal Popelin lors de la rédaction de ce projet de loi. Un appel qui a été entendu puisque mardi 8 mars, l’Assemblée nationale a voté massivement pour le projet de loi par 474 voix contre 32, avec 32 abstentions.