« C’est pour tous les quotas français que je parle plus anglais ». Le groupe Discobitch est aujourd’hui largement oublié mais le refrain de son tube de 2008 “C’est beau la bourgeoisie” résonne encore dans nos oreilles. Sa référence à la loi Toubon du 1er février 1994 est toujours d’actualité : les radios qui diffusent de la musique doivent passer 40% de chansons francophones au minimum entre 6 heures et 22h30. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) est censé s’assurer du respect de ces dispositions.
Cette obligation légale, dont l’objectif est de doper la création musicale en langue française, apparaît bien peu respectée. Lundi 21 mars, la ministre de la Culture Audrey Azoulay a même qualifié la situation actuelle d’« hypocrite et inacceptable » devant l’Assemblée nationale, à l’occasion de la discussion du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine. « Certaines radios ne respectent pas les quotas et ne sont pas sanctionnées », a ajouté la ministre.
Le CSA se montre volontiers arrangeant avec les excès de certaines radios. Depuis 2005, le gendarme de l’audiovisuel a adressé 10 mises en demeure sur des manquements à la loi sur les quotas. Aucune sanction financière n’a jamais été prononcée. L’institution se défend pourtant de tout angélisme. « Nous appliquons la loi comme il se doit, explique Virginie Sainte-Rose, chargée de la communication au CSA. Des stations qui ont structurellement du mal à respecter les quotas se retrouvent dans le champ de la loi. Les radios qui diffusent beaucoup de R’n’B, par exemple, sont confrontées à un manque de productions françaises reconnues. Le CSA connaît bien l’univers musical qu’il a à réguler. »
Sur NRJ, 8 chansons sur 10 sont en anglais
Étudier dans le détail 24 heures de diffusion musicale d’une station comme NRJ, première radio musicale française avec 6, 24 millions d’auditeurs quotidiens, suffit pourtant pour se convaincre que la loi est loin d’être respectée à la lettre. Sur 172 morceaux passés entre le lundi 21 mars à 13h et le mardi 22 mars à 13 h, seules 35 chansons francophones ont été diffusées, selon le recensement de playlisteradio.com. Cela fait 20,3%, soit la moitié du minimum légal. Bien maigre.
De surcroît, ce faible total correspond à la diffusion d’une poignée d’artistes à peine. Sur ces 35 morceaux diffusés, 21 sont signés Kendji Girac, Keen V ou Maître Gim’s, soit 61%. Le tube “Rien qu’une fois” de Keen V a été diffusé sept fois, tandis que les auditeurs ont pu écouter cinq fois le duo Maître Gims-Sia sur “Je te pardonne”. Onze artistes se partagent les 14 diffusions restantes. Contactée, la radio n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Un amendement va contraindre les radios à élargir leurs playlists
Cette concentration n’a pas échappé aux pouvoirs publics. « 10 titres francophones peuvent représenter jusqu’à 75 % des diffusions francophones mensuelles », ce qui « ne permet plus aux nouveaux talents de rencontrer leur public », estimait Patrick Bloche, le président de la commission des affaires culturelles à l’Assemblée nationale, en septembre dernier. Un amendement a été voté, mardi 22 mars, à l’Assemblée nationale pour contraindre les radios à élargir leurs playlists : il prévoit que les radios devront réserver au moins 20% de leur diffusion à des artistes francophones en dehors des dix artistes francophones qu’elles diffusent le plus. Une radio qui respecterait son quota de 40% en diffusant seulement dix artistes se verrait donc contraindre d’augmenter encore ses diffusions de chansons francophones.
En septembre, le vote de cette disposition en première lecture au Parlement avait suscité la colère des diffuseurs radiophoniques. Les patrons de RTL, NRJ, du pôle radio de Lagardère Active et des Indés Radios avaient cosigné une lettre rendue publique par Les Echos. « Ce n’est pas aux parlementaires de nous dire ce que nous devons diffuser. C’est nous mettre sous tutelle artistique », estimait Emmanuel Rials, président de la station rock Oüi FM. Les stations estiment que cette disposition incitera leurs auditeurs à éteindre leur radio pour retrouver leurs artistes préférés — et non-francophones — sur des plate-formes payantes comme Deezer ou Spotify. A moins que le CSA ne ferme les yeux sur d’éventuels manquements. L’occasion de diffuser “Déjà Vu” (de Beyoncé) ?