Antoine, grand brun aux épaiss­es lunettes ron­des, a 21 ans. Pru­dence, pan­talon rouge et man­teau bleu, en a deux de plus. Ils vivent à Paris depuis quelques mois. Lui étudie en qua­trième année à l’Ecole des hautes études en sci­ences sociales (EHESS) ; elle, en pre­mière année de mas­ter d’histoire de l’art à la Sorbonne.

En poli­tique, un point les rassem­ble : tous deux ne votent plus depuis des années. Leur retrait des isoloirs n’a pour­tant rien d’un aban­don ou d’un désen­gage­ment. Pru­dence, comme Antoine, ne sup­port­eraient pas d’être rangés par­mi ceux qui « s’énervent mais ne font rien pour que ça change ».

S’en­gager en poli­tique sans vot­er, c’est le par­ti pris par de nom­breux jeunes. Par­mi les 18–24 ans, 76 % ont boudé les dernières élec­tions régionales, en décem­bre 2015. Idem chez leurs grands frères et sœurs : seul un tiers des 24–35 ans a par­ticipé au scrutin, con­tre 50 % pour l’ensem­ble de l’élec­torat français.

Avec pour objec­tif de se présen­ter aux législatives 

Lassés des scan­dales poli­tiques, Pru­dence et Antoine ont été séduits par un « club de dis­cus­sion » inti­t­ulé « Ma Voix ». Sur la page Face­book du mou­ve­ment citoyen, qui compte près de 10 000 abon­nés, une phrase épinglée depuis plusieurs mois accueille les vis­i­teurs : « Nous sommes de ceux qui n’arrivent plus à aller vot­er la tête haute. » Une manière de fédér­er des jeunes sur lesquels les affaires Cahuzac ou Byg­malion ont un effet repous­soir. Des organ­i­sa­tions poli­tiques jouent sur la même corde et réfu­tent désor­mais le nom de « par­ti », à l’in­star de Nous Citoyens, qui se définit comme un « mou­ve­ment non par­ti­san ». 

Le pro­jet « Ma Voix » con­siste à expéri­menter une nou­velle forme de démoc­ra­tie par­tic­i­pa­tive, « de démoc­ra­tie tout court », dis­ent ses affidés. Loin des par­tis poli­tiques et des politi­ciens de car­rière. Con­crète­ment, les cen­taines de mem­bres de la com­mu­nauté se réu­nis­sent régulière­ment, à Paris mais aus­si à Lyon (Rhône), Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), Stras­bourg (Bas-Rhin) ou à dis­tance, via Skype. L’objectif est d’élaborer un pro­gramme com­mun, né de la dis­cus­sion, sans qu’aucun leader ne soit là pour trancher.

« J’avais peur que ce ne soit que les grandes gueules qui pren­nent la parole, avoue Pru­dence. En fait, pas du tout. C’est per­tur­bant de ne pas avoir quelqu’un pour men­er la dis­cus­sion mais j’ai trou­vé ça con­struc­tif. » A terme, « Ma Voix » veut « hack­er l’Assemblée nationale en 2017 ». Le groupe désign­era son can­di­dat aux lég­isla­tives par tirage au sort. Il sera, s’il est élu, le représen­tant de la com­mu­nauté dans l’Hémicycle, et son seul rôle sera de porter la voix du groupe pen­dant cinq ans, même si la posi­tion col­lec­tive va à l’encontre de ses opin­ions personnelles.

Une ini­tia­tive mi-hip­pie, mi-com­mu­niste Pru­dence, 23 ans

La pre­mière fois que Pru­dence a enten­du par­ler du pro­jet, c’était dans le vil­lage où elle a gran­di : Chalonnes-sur-Loire (Maine-et-Loire), une com­mune de 7 000 habi­tants, près d’Angers. Ses voisins lui ont fait la pro­mo­tion de cette ini­tia­tive « mi-hip­pie, mi-com­mu­niste ». Elle a voulu creuser et se faire sa pro­pre idée. Aujourd’hui, bien qu’elle ne soit pas con­va­in­cue que cela fonc­tion­nera, Pru­dence veut y croire.

Comme Antoine, Pru­dence est sen­si­ble à cette envie de se détach­er des par­tis et d’une élec­tion prési­den­tielle où la per­son­nal­ité des can­di­dats éclipse trop sou­vent les pro­grammes à ses yeux. A pri­ori, aux élec­tions prési­den­tielles de 2017, les deux s’abstiendront encore une fois. Ques­tion de principe. Un seul élé­ment pour­rait leur faire chang­er d’avis. Pour qu’ils se retranchent dans l’isoloir, il fau­dra que Marine Le Pen parvi­enne au sec­ond tour.