« Ici, les syndics et les cocos se mettaient la gueule à coups de barres de fer. » La cigarette au bec, Marc, en troisième année de droit à Nanterre (Paris X), rallume sa roulée à demi consumée. L’air impassible, il poursuit : « C’était l’époque où Nanterre était ultra-politisée. Rien à voir avec aujourd’hui, alors que la politique n’intéresse plus grand monde… » Aux dernières élections syndicales, le jeune étudiant – pourtant investi dans des associations culturelles et sportives de la fac — confesse même ne pas avoir voté. Sur le campus, son cas ressemble à celui de centaines d’autres.
Les chiffres du dernier suffrage sont plus éloquents que les grands discours. Les étudiants se sentent démobilisés. 92% d’abstention. Moins de 1% d’étudiants syndiqués sur les 30.000 que compte l’université. Partout sur le campus, les murs couverts de graffitis incendiaires et d’affiches contestataires ont été remplacés par quelques vieux posters aux slogans anticapitalistes. Petites touches colorées qui laissent un arrière-goût soixante-huitard. En avril 2015, la fac, symbole des manifestations communistes, a pourtant connu un revirement historique. Nanterre la rouge a passé l’arme à droite. C’est l’Uni, le mouvement de la droite universitaire, qui a remporté le scrutin avec 402 voix, contre 270 pour l’Unef. « Même si la politique n’attire plus beaucoup de monde, c’est une victoire qui prône les valeurs du mérite, de l’excellence et du travail », se félicite Mayane Cayla, responsable de l’Uni à Paris X.
Ce taux d’abstention presque record du dernier suffrage, Alice Bouguala, responsable de la section locale de l’Unef, l’explique par une perte de repères politiques chez les jeunes. « Les étudiants ont développé un très fort sentiment de défiance et de désintérêt envers les institutions », avance-t-elle d’une voix feutrée. Une théorie à laquelle Pierre, en première année de Lettres, adhère. L’étudiant au visage poupon le souligne d’un air désabusé : « La politique, aujourd’hui, c’est 75% de guéguerre pour 25% de vrai combat. » Il marque une pause, rajuste son écharpe avant de lâcher dans un soupir : « Alors à quoi ça sert encore de s’engager ? »

Au 1er étage de la Maison de l’étudiant, un grand tableau à l’effigie d’une manifestation de l’Unef.
Cette démobilisation, les syndicats en tiennent aussi la direction de la fac responsable. Ils critiquent une absence de moyens matériaux et un manque de médiatisation sur la tenue des élections. « Lors du dernier scrutin, il n’y avait qu’un seul bureau de vote ouvert sur tout le campus ! », tempête Alice Bouguala, de l’Unef. Julian, coordinateur de l’autre syndicat de gauche, Solidaires, est encore plus virulent. Manteau noir, écharpe noire, le jeune homme, qui confesse être issu d’une famille « elle-même très politisée », vient de se détacher d’un petit attroupement de militants tout juste formé devant le bâtiment B. Plissant les yeux sous le soleil qui inonde la grande prairie du site, il dénonce d’une voix grave des élections « assez mal foutues » : « Il faudrait déjà réussir à donner une vraie impression d’élections aux étudiants, là où ils ont juste le sentiment que c’est un truc saoulant qui revient tous les deux ans. »
Un amphi au deux-tiers vide
Devant le bâtiment B, le groupe d’étudiants peine à se disperser après la réunion syndicale. Il se heurte maintenant à trois vigiles, qui restreignent l’accès à la porte. Les cris militants ont faibli dans les rangs. « Bon, il y a une proposition d’aller déjeuner pour ceux qui veulent… », clame un des leaders syndicaux dans son mégaphone. Son intervention sonne le glas du rassemblement. Le bilan de l’assemblée générale contre la loi Travail du 22 mars semble, pour tout œil extérieur, plutôt mitigé. Malgré les dizaines d’affichettes collées à la hâte sur plusieurs murs du campus, invitant sobrement les étudiants à se rassembler « à 12h30 pour protester », seule une centaine de personnes s’étaient déplacées. Les syndicats ne sont pas étonnés ; ils s’attendaient à peu près à une mobilisation de cette ampleur.

Ce mardi 22 mars, l’assemblée générale des syndicats contre la loi travail a rassemblé une petite centaine de personnes.
Nanterre abrite pourtant un fort tissu associatif : culturel (Les Indifférents, Mélo’Dix), sportif (La Nav, le Ski Club), humanitaire (AMEAA) ou écologiste (Les Unis verts Nanterre, l’AMAP ETAL). « Ce qui peut expliquer cette baisse d’intérêt en politique, c’est que les gens ont d’autres portes d’engagement sur le campus ; ils rejoignent des structures d’économie sociale et solidaire ou de coopératives, par exemple », analyse Alice Bouguala, la responsable de la section locale de l’Unef.

Des affiches de l’Unef devant la gare.
Il est 18 heures sur le campus de Nanterre. Un troupeau d’étudiants, écouteurs sur les oreilles, prend docilement le chemin de la gare. Ils descendent sur le quai. La voix standardisée et monocorde de la RATP marque l’arrêt du premier RER : « Nanterre Université ». Dans les années 1970, c’est un tout autre nom qui s’affichait. « Nanterre La Folie ».
Aujourd’hui la folie semble perdue. L’élan politique de la fac s’est désingularisé. Dans un signal sonore, les portes du RER se ferment. Le train dépasse une dernière affiche du NPA, le nouveau parti anticapitaliste, collée à la va-vite sur un panneau publicitaire. Absorbés par leurs smartphones, les étudiants le laissent derrière eux. Sans y prêter un regard.