Ce dimanche 21 mars, la pucelle d’Orléans était partout. En Vendée, le directeur du Puy-du-Fou Philippe de Vil­liers célébrait en fan­fare le retour de l’anneau de Jeanne d’Arc dans sa mère patrie, après son rachat à la suite d’une vente aux enchères organ­isée à Lon­dres. La relique a été rachetée pour la mod­ique somme de 376 833 euros au fils du médecin per­son­nel du Général de Gaulle. Sur France 3, le député européen Jean-Marie Le Pen, 87 ans, annonçait la créa­tion de comités “Jeanne d’Arc, au sec­ours” pour peser sur la poli­tique du Front nation­al. « Ces comités ont pour but d’in­flu­encer autant que faire se peut la marche du Front nation­al », a‑t-il expliqué. Comme tous les ans depuis 1988, il se ren­dra le 1er mai devant la stat­ue de Jeanne‑d’Arc place des Pyra­mides (1er arrondisse­ment de Paris). Comme l’année dernière, il devrait lui intimer de venir sauver la France.

 

La jeune femme, brûlée vive par les Anglais à Rouen en 1431, est un sym­bole poli­tique prisé. Con­nue pour avoir dirigé l’armée royale et “bouté” les Anglais hors de France en 1429, à 17 ans, Jeanne d’Arc a été util­isée à l’appui de presque toutes les idéolo­gies poli­tiques. Retour avec Olivi­er Bouzy, respon­s­able du cen­tre d’archives Jeanne‑d’Arc à Orléans, sur six cents ans de récupéra­tion politique.

« Depuis quand Jeanne d’Arc sert-elle de sym­bole poli­tique à l’extrême-droite ?
Cette appro­pri­a­tion de Jeanne d’Arc comme sym­bole de la résis­tance française à l’envahisseur étranger date de 1890. Elle est l’œuvre de Charles Mau­r­ras, cet intel­lectuel d’extrême-droite qui fait de la fig­ure de Jeanne d’Arc le sum­mum du génie français face à la “batardi­s­a­tion” de l’esprit étranger. Il va ensuite trans­met­tre cette idée au régime de Vichy. Philippe de Vil­liers et Jean-Marie Le Pen n’ont fait que repren­dre cette vision. Mais on observe aujourd’hui un reflux : depuis le film de Luc Besson Jeanne d’Arc, sor­ti en 1999, qui a été un suc­cès pop­u­laire, les Français se sont réap­pro­prié Jeanne d’Arc. Un homme de gauche comme Lau­rent Fabius a par exem­ple poussé à la con­struc­tion d’un his­to­r­i­al Jeanne‑d’Arc à Rouen (Seine-Mar­itime), inau­guré en 2015.

Par quelles autres idéolo­gies poli­tiques Jeanne d’Arc a t‑elle été récupérée?
Jeanne d’Arc a été tour à tour une fig­ure catholique, un sym­bole de gauche et une égérie fémin­iste. Sous l’Ancien régime, on se sou­vient qu’elle a été guidée par des voix divines : elle est l’incarnation de l’amour que Dieu porte à la France. A par­tir de 1840, sous la plume de l’historien Jules Michelet, elle devient la petite fille de la mère patrie qui lutte à la place de la noblesse inca­pable. Jeanne d’Arc est alors une fig­ure de gauche, qui sera invo­quée par Jau­rès ou même Thorez en 1945. Au début du 20e siè­cle, elle est même util­isée par le mou­ve­ment des suf­fragettes, ces femmes qui lut­tent pour le droit de vote. Aux Etats-Unis, cer­taines d’entre elles se déguisent en Jeanne d’Arc lors de manifestations.

Notre fig­ure nationale, Mar­i­anne, allé­gorie de la République, est-elle inspirée de Jeanne d’Arc ?
Ce qui est sûr, c’est que l’iconographie de Mar­i­anne est une évo­lu­tion de l’iconographie de Jeanne d’Arc. On sait aus­si que les révo­lu­tion­naires girondins se sont beau­coup intéressés à la pucelle d’Orléans. Le glisse­ment de Jeanne d’Arc à Mar­i­anne en y ajoutant l’idée de lib­erté est plus incer­tain. La pop­u­lar­ité de Jeanne d’Arc, réelle à l’époque de la Révo­lu­tion française, s’explique par le lien, peut-être la fil­i­a­tion, que les Français voy­aient entre elle et la vierge Marie : très croy­ants, ils se sont attachés à une jeune femme chaste qui leur rap­pelait la mère de Jésus Christ. »

Crédit pho­to : Roger Salz CC BY SA